Un style rare
Aux premières lueurs du XXe siècle, Tunis connaît un grand boom immobilier, dû à l’implantation de plusieurs communautés européennes en Tunisie. Un nouveau mode d’habitation apparaît : l’immeuble de rapport sur l’avenue Habib-Bourguiba (alors avenue de la Marine, puis avenue JulesFerry, jusqu’à l’Indépendance). Des «balassat» (immeubles) de style néo-classique, art nouveau, art déco, éclectique ou arabisant y défilent sans heurts. Grâce, notamment au respect de règles urbaines homogènes au niveau des gabarits, des alignements, des hauteurs, des couleurs et de certains éléments décoratifs de façades. Sur l’artère centrale de la «ville neuve», par comparaison avec la Médina toute proche, se concentrait également l’essentiel de la vie culturelle. Des spectacles se déroulaient à longueur d’année au Palmarium, au Rossini Palace et au Théâtre municipal. Dessiné par l’architecte Jean-Emile Resplandy, l’auteur du Palais de justice et du Casino du Belvédère, le Théâtre municipal était l’une des composantes d’un complexe comprenant un hôtel (Tunisia Palace) et un casino-restaurant, destiné à attirer les touristes aisés pour hivernage à Tunis. Ce théâtre a été conçu selon les principes de l’Art nouveau, un style rarissime et dont la mode s’est révélée très courte, y compris à Bruxelles, à Paris et à Prague, où il apparaît à l’orée des années 1900. Sa marque de fabrique : les ondulations, les mouvements, les motifs végétaux et les formes souples, torsadées, un brin musical qui ornent les façades et rompent avec la rigidité du courant éclectique. L’Art nouveau introduit une note de fantaisie dans la ville et n’hésite pas à jongler avec différents matériaux : ferronnerie, bois, mosaïque, céramique… Mais Resplandy choisit ici d’établir une continuité avec les bâtiments érigés sur cette ex-avenue de la Marine (actuelle avenue Bourguiba). La large loggia blanche à trois baies au premier étage de la façade centrale du théâtre est en harmonie avec le reste des édifices de l’artère centrale. Le haut relief d’inspiration classique placé au-dessus de la loggia représente le dieu Appolon (Phébus) conduisant son char à travers le paradis et encadré par les muses du drame et de la poésie. Resplandy a su introduire l’ambiance du spectacle dès l’extérieur du bâtiment. En 1992, l’importance de cet espace d’art et de culture est enfin publiquement reconnue. Il est, cent ans après son inauguration officielle, classé monument historique national. Le Théâtre municipal, connu également sous le nom de la «Bonbonnière», à cause de la forme toute en rondeur de sa salle de spectacle, est de ce fait considéré comme l’un des premiers édifices du XXe siècle à recevoir ce prestigieux statut.