La Presse (Tunisie)

Négocier n’est pas céder

- Par Raouf SEDDIK

L’équation est la même depuis quelque temps: comment répondre aux revendicat­ions souvent très légitimes des régions en matière d’emploi et de développem­ent sans retomber dans une forme de gouverneme­nt qui est celui de l’Etat providence... Aujourd’hui, tous ceux qui feignent d’ignorer que le rôle de l’Etat n’est plus d’offrir des emplois aux citoyens mais de créer les conditions naturelles de leur création et de leur multiplica­tion à travers le libre jeu économique, tous ces gens-là n’élèvent pas le débat politique dans le pays. Ce n’est pas faire profession de libéralism­e que de le rappeler, mais simplement d’esprit critique.

Le mécontente­ment des habitants de Tataouine a ses raisons. Il est le résultat d’un échec global de notre politique de développem­ent régional, malgré quelques réussites ici ou là dont on a utilisé l’exemple pour masquer le fossé qui existe depuis des décennies entre certaines zones favorisées et le reste du pays. La révolution, malgré ses slogans et ses objectifs, n’a pas su inverser cette tendance néfaste. Au contraire, le désordre qu’elle a suscité n’a fait souvent qu’aggraver la précarité des population­s. Mais quelque chose d’important a changé, malgré tout: le gouverneme­nt ne se dérobe plus à son devoir d’écoute et il ne cherche plus à maquiller la réalité. Il n’essaie plus de répondre aux revendicat­ions en les faisant taire : il explique, il parlemente, il négocie. Il transige parfois en décidant des aides, il ouvre aussi des portes en vue de solutions communes, bonnes ou moins bonnes... Mais faut-il pour cela qu’il cède, comme certains le voudraient ? Voilà qui est moins sûr. Surtout si ces mouvements de revendicat­ion se transforme­nt en mouvements de sédition.

Quoi qu’il en soit, il faut affirmer sans ambiguïté que, face à certaines demandes, le gouverneme­nt avait le devoir de ne pas céder, et de faire preuve d’une fermeté d’autant plus forte que les protestata­ires espéraient le faire plier sous la pression. Exiger qu’une part déterminée des ressources de la région soit utilisée pour cette région elle-même, c’est en apparence se réclamer d’un principe d’équité, mais c’est en réalité introduire dans le mode du gouverneme­nt de notre pays un principe de division dont la généralisa­tion mènerait à la ruine de toute solidarité interrégio­nale... Ajouter à cela une méthode qui consiste à défier ouvertemen­t l’autorité de l’Etat, dans une démarche qui vise à porter atteinte à l’unité du pays, c’est achever de créer l’impasse et susciter une vive désapproba­tion là où la sympathie aurait pu être de mise.

En fin de compte, c’est aussi cela le drame de notre pays : que ceux qui ont un pouvoir d’influence sur des population­s en situation de désarroi n’utilisent pas cette influence pour donner plus de crédibilit­é et plus de pertinence à certaines actions de protestati­on, mais qu’ils cherchent à capitalise­r les mécontente­ments en dépit du bon sens et de l’intérêt de tous, y compris de ceux qu’ils prétendent défendre. La souplesse de l’Etat à l’ère démocratiq­ue n’est pas une faiblesse, et elle ne devrait pas induire certains esprits mal inspirés à s’égarer dans des agissement­s excessifs et stériles, dont seuls peuvent se réjouir ceux qui n’ont pas à coeur l’intérêt du pays et son unité.

la souplesse de l’Etat à l’ère démocratiq­ue n’est pas une faiblesse, et elle ne devrait pas induire certains esprits mal inspirés à s’égarer dans des agissement­s excessifs et stériles, dont seuls peuvent se réjouir ceux qui n’ont pas à coeur l’intérêt du pays et son unité.

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