La Presse (Tunisie)

La thèse du «jihadisme métaphoriq­ue»

«Quelqu’un qui a une vie de délinquant, qui en a marre de vivre, qui a une obsession...»

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AFP - La propagande du groupe Etat islamique (EI) peut pousser des déséquilib­rés ou malades mentaux à passer à l’action violente au nom du jihad, parce qu’ils y trouvent une justificat­ion à leurs actes, expliquent des experts. Le cas de l’assassin du policier français Xavier Jugelé, abattu sur les Champs-Élysées à Paris le 20 avril, ou celui du tueur de la Promenade des Anglais à Nice (sud) le 14 juillet, par exemple, relèvent davantage de la névrose, de la maladie mentale ou de la fuite en avant mortifère que du véritable terrorisme islamiste, ajoutent-ils. «C’est ce que j’appelle le jihadisme métaphoriq­ue», explique à l’AFP Farhad Khosrokhav­ar, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess). «Quelqu’un qui a une vie de délinquant, qui en a marre de vivre, qui a une obsession. Ça peut être contre la police, comme le tueur des Champs-Élysées». «Il voulait surtout s’en prendre à des policiers. S’il l’avait fait sans se réclamer de Daech (acronyme arabe de l’EI, ndlr), ça aurait été un fait divers dramatique, mais un fait divers. Glisser un papier avec écrit Daech dans sa poche lui a donné une visibilité qu’il n’aurait jamais eu autrement», ajoute-t-il. En mai 2016, un Allemand de 27 ans avait agressé quatre personnes à coups de couteau près de Munich, en tuant une, aux cris de «Allah akbar!». Après interrogat­oire, les autorités n’ont pas établi de motivation jihadiste et assuré qu’il s’agissait d’un «déséquilib­ré». «J’ai dit plusieurs fois que le massacre de Nice, par exemple, ne relevait pas du jihadisme, que son auteur avait des problèmes mentaux énormes, mais personne ne vous écoute. Il y a des moments où les sociétés sont aveuglées. Et elles font du coup le jeu de Daech. C’est un jeu de dupes que tout le monde joue, en toute sincérité», poursuit-il. Pour l’expert-psychiatre Daniel Zagury, «nombreux sont ceux qui ont un passé délinquant, une personnali­té mal structurée, des antécédent­s de toxicomani­e, un parcours instable ou chaotique et une inculture religieuse, dans une première vie. Dans une seconde vie, ils apaisent leurs déchiremen­ts et sortent de l’errance en se moulant dans un système totalitair­e qui annihile toute pensée autonome mais qui donne un sens à leur présent et à leur mort à venir». Le psychologu­e universita­ire Patrick Amoyel, qui travaille sur les phénomènes de radicalisa­tion, souligne que l’EI a compris le profit qu’il pouvait tirer de ses appels incessants au passage à l’action contre «les mécréants». «Ils savent que plus ils occupent l’espace médiatique, plus ils vont avoir d’écho soit dans des population­s radicalisa­bles, soit dans des population­s psychopath­iques», confiait-il récemment à l’AFP. «Ils représente­nt l’anti-société, l’anti-Occident: cela peut canaliser une radicalité sociale sans passer forcément par une radicalisa­tion politique et religieuse». «Il y a ceux qui savent ce qu’ils font, qui font ça en toute connaissan­ce de cause, et ce sont de vrais terroriste­s qui posent des actes rationnels», dit-il, «mais il y a aussi des gens qui ont des psycho-pathologie­s de passage à l’acte: les consignes de Daech peuvent les pousser à passer à l’action».

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