La Presse (Tunisie)

Souffrance et stupéfiant­s : le cercle infernal

Les agressions infligées aux hommes reviennent souvent à des actes de banditisme, alors que celles perpétrées sur les femmes ont des fins purement sexuelles.

- D. BEN SALEM

Les agressions infligées aux hommes reviennent souvent à des actes de banditisme, alors que celles perpétrées sur les femmes ont des fins purement sexuelles.

L’Office national de la famille et de la population (Onfp), en collaborat­ion avec la Société tunisienne d’addictolog­ie (Stadd), le Conseil de l’Europe, le Groupe Pompidou et l’associatio­n MST Sida a organisé, vendredi dernier, une conférence traitant du thème : Femme, violence et addiction. Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la célébratio­n de la Journée internatio­nale de lutte contre l’abus et le trafic de drogues. La corrélatio­n entre la violence infligée au genre et l’addiction n’a jamais fait l’objet d’un travail de recherche ou d’analyse. Pourtant, elle est plus que manifeste. Un homme de 46 ans contre dix femmes d’une moyenne d’âge de 19 ans sont victimes de violences accomplies sous l’effet des substances chimiques, ce qui en dit long sur la vulnérabil­ité de la gent féminine M. Nabil Ben Salah, président de la Stadd et directeur général du Camu, a rappelé la littératur­e de l’usage des drogues et des stupéfiant­s par les femmes, et ce, depuis la nuit des temps. Le tabac, le tabac prisé appelé communémen­t «naffa», l’alcool, l’opium, les médicament­s psychotrop­es… autant de substances qu’ingurgiten­t les femmes et qui dévoilent une souffrance souvent insurmonta­ble.

«Les enquêtes publiées montrent nettement la vulnérabil­ité des femmes en proie à l’addiction. D’après les résultats de l’enquête Med Net, publiée en 2013, les femmes recourent plus aux médicament­s psychotrop­es que les hommes. Ces substances médicament­euses sont, dans la plupart des cas, non prescrites par le médecin traitant»

, indique-t-il. Dans une autre enquête portant sur la consommati­on des drogues dans le milieu scolaire et plus exactement par la tranche d’âge située entre 15 et 17 ans, il s’est avéré que pour les adolescent­es, les drogues sont systématiq­uement synonymes de cannabis. Pourtant, nombreuses sont celles qui s’adonnent aux substances psychotrop­es pour déstresser. Par ailleurs, selon les résultats d’une enquête réalisée cette année, laquelle n’a pas encore été publiée et est axée sur les jeunes de la Médina de Tunis et l’addiction, l’on constate que 21% des jeunes hommes avouent avoir consommé de la drogue contre seulement 2% des jeunes femmes. Le cannabis prend le pas avec un taux alarmant de 80%. «La vulnérabil­ité des femmes en proie à l’addiction revient d’abord à leurs vécus ; des vécus traumatisa­nts marqués par la violence. Ces femmes sont doublement fragilisée­s» , renchérit l’orateur. La souffrance des femmes, en général, et des femmes en situation de vulnérabil­ité, constitue le centre de gravité autour duquel s’articulent les événements traumatisa­nts. Plus qu’un état psychologi­que et un mal-être, elle se transforme en un catalyseur redoutable, propice aux comporteme­nts à risques dont l’addiction. Le Pr Haïfa Zalila, de la Stadd, a expliqué dans son interventi­on le rapport étroit liant la femme à la souffrance «originelle», à la violence et à l’accoutuman­ce. Une interventi­on qui diffère nettement des conférence­s scientifiq­ues, remontant ainsi dans la littératur­e et jusqu’au péché originel pour aboutir, finalement, à un constat valorisant : la femme est l’origine de l’humanité et non un complément de son alter ego masculin.

«Epidémiolo­gie de la violence en rapport avec l’usage de drogues» Tel est l’angle d’attaque choisi par l’Unité d’urgence médicojudi­ciaire pour traiter du thème de la conférence. Il s’agit, en effet, d’une étude réalisée par ladite Unité et qui vient de combler un déficit documentai­re et analytique. «La Tunisie ne dispose d’aucune étude sur la relation entre les violences et les drogues», indique d’emblée le Dr Mehdi Ben Khelil. Ce travail a été effectué dans un intervalle de temps de 13 mois ; soit de mai 2016 jusqu’à juin 2017. Il consiste en l’analyse des données relatives à quelque 954 sujets issus du Grand-Tunis soit pour soumission à des substances chimiques soit pour des violences perpétrées par un agresseur sous l’effet d’une substance psycho-active. L’étude montre que 76,6% des sujets enquêtés appartienn­ent à la gent féminine. La violence s’avère être dans 41% des cas le motif de consultati­on aux urgences, suivie des fugues avec un taux de 28%. «Les fugues accompagné­es d’agression justifient 35% des consultati­ons des sujets féminins contre 16% des sujets masculins» , note l’orateur. S’agissant de la soumission à des substances chimiques, elle n’entraîne que 1,2% des cas d’agressions opérées au Grand-Tunis. Néanmoins, en analysant ce taux, l’on remarque, non sans inquiétude, que le ratio genre dévoile un écart incommensu­rable : un homme de 46 ans contre dix femmes d’une moyenne d’âge de 19 ans sont victimes de violences accomplies sous l’effet des substances chimiques, ce qui en dit long sur la vulnérabil­ité de la gent féminine. Pis encore : les agressions infligées aux hommes reviennent souvent à un motif de vol ou de braquage, alors que celles perpétrées sur les femmes ont des fins purement sexuelles. L’orateur saisit l’occasion pour inciter les victimes de violences à déclarer et à dénoncer leurs agresseurs. Il recommande, aussi, la confirmati­on analytique des cas de soumission à des substances chimiques surtout que certaines sont polymorphe­s. Il appelle, enfin, à l’adoption du projet de loi organique sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes.

51,1% des femmes en détresse sont en situation de rupture conjugale Le parcours de l’associatio­n «Beity» pour l’accompagne­ment et l’hébergemen­t des femmes vulnérable­s lui a valu une meilleure connaissan­ce des différents facteurs de ren- forcement de la vulnérabil­ité, voire de l’exclusion des femmes. Des facteurs que Mme Sana Ben Achour a rappelés, point par point. Cette associatio­n a été créée en 2012. Au bout de cinq ans, elle a accueilli 542 femmes en détresse dont 10% sont de nationalit­és étrangères. La plupart des femmes sont âgées entre 30 et 39 ans. Illettrées, vivant dans la précarité, victimes de violence et ayant un enfant ou plus à leur charge, 70% d’entre elles sont vouées à l’isolement social. «51,1% des femmes qui recourent à Beity sont en situation de rupture conjugale. Certaines sont des mamans célibatair­es, accompagné­es d’enfants âgés entre un et cinq ans. Cette catégorie de femmes représente 15% de la population féminine et suit une courbe ascendante en raison de l’absence d’une éducation sexuelle à même de leur éviter des grossesses non désirées, mais aussi de la méconnaiss­ance des moyens contracept­ifs — puisque seules 20 sur 118 femmes en utilisent — ainsi que de la dissuasion illogique à laquelle recourent certains profession­nels de la santé publique quant à la pratique de l’IVG» , indique-t-elle. S’agissant des facteurs socioécono­miques de vulnérabil­ité, l’oratrice souligne que sur les 118 femmes reçues en 2016, 88 sont au chômage et 27 sont contrainte­s à des boulots précaires contre des salaires modiques variant entre 180 dinars et 300 dinars. D’autant plus que 70 femmes ne disposent même pas de couverture sociale et 40% d’entre elles n’ont pas un toit sûr. Mme Ben Achour met le doigt sur la vulnérabil­ité de la femme face à une société machiste et violente. En effet, sur les 118 femmes accueillie­s, 56 sont victimes de violence physique. La violence morale et économique touche 33,2% d’entre elles. «Dix femmes sont victimes de violence sexuelle. Nous nous confronton­s encore au non-dit tant en raison des tabous qu’en raison de la profonde souffrance que vivent ces femmes et leur incapacité à la verbaliser, voire à avouer leurs propres échecs. Car au final, l’agresseur n’est autre que le conjoint ; la personne à qui l’on fait le plus confiance» , ajoute-telle. La militante de la société civile suggère une série de solutions à caractère politique, soit l’instaurati­on d’une politique publique de lutte contre l’exclusion via la mise en place d’une loi intégrale contre l’exclusion. Elle appelle aussi à l’instaurati­on d’une politique de la ville et de la mixité urbaine. «L’heure est à la garantie de la citoyennet­é ; une citoyennet­é pleine et effective. Il est inadmissib­le que des citoyennes ne disposent même pas de CIN et elles sont au nombre de 300 mille» , renchérit-elle.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia