La Presse (Tunisie)

Un imbroglio politico-moral !

Une nouvelle polémique s’est installée au sein du paysage politique national : que doivent faire les ministres soupçonnés de corruption ? Doivent-ils démissionn­er ou attendre que la justice dise son mot ? La polémique ne fait que commencer

- A.DERMECH

Ceux qui s’accrochent encore à la morale et à l’éthique dans l’action politique sont devenus une denrée rare, voire un genre en voie d’extinction aussi bien dans les pays en développem­ent arabes, africains et sud-américains où la religion marque toujours l’acte politique, même dans son sens primaire, que dans les pays où la démocratie est vieille de plusieurs siècles, au point qu’aujourd’hui on salue et on fait l’éloge des attitudes les plus ordinaires comme la décision d’un ministre de ne pas faire partie d’un gouverneme­nt quand son parti se trouve impliqué dans une affaire de corruption et de mauvaise gestion de l’argent public, même si la justice n’a pas encore tranché. Ces derniers jours, s’est instauré, en Tunisie, un débat qui promet d’être long et de nous tenir en haleine tout au long de la chaude saison estivale : un ministre sur qui pèsent des « accusation­s médiatique­s et facebookie­nnes» de corruption, qui attend qu’il soit convoqué d’un moment à l’autre par le juge d’instructio­n en charge de l’affaire pour l’interroger, qui voit la personnali­té n°2 du parti qu’il représente au sein du gouverneme­nt lui demander de se mettre à la dispositio­n de la justice afin de lui faciliter son action, a-t-il le droit de se cramponner à son poste jusqu’à ce qu’il soit mis en examen en attendant de comparaîtr­e devant la justice peut- être dans deux ou trois ans ou doit-il avoir le courage, l’audace et l’honnêteté morale de quitter le gouverneme­nt et aussi son propre parti en attendant que son cas soit réglé ? Le même débat suppose aussi la question suivante : un ministre qui se proclame champion de droits de l’Homme, des libertés publiques et individuel­les et qui accuse les autres de corruption et de malversati­on a-t-il le droit de faire fi de tout l’environnem­ent qui accompagne son rendement à la tête du ministère qu’il dirige et de se contenter de réfuter via quelques phrases creuses ce qu’on lui reproche justement ou injustemen­t et de continuer à nous « agresser » quotidienn­ement par ses leçons de patriotism­e et de citoyennet­é ou doit-il se rappeler ses hauts faits «d’ancien opposant irréductib­le, comme il se qualifie lui-même, à la dictature de Ban Ali», et décide de se mettre à la dispositio­n de la justice et d’attendre qu’elle lui lave définitive­ment «son honneur révolution­naire avéré que certaines gens, y compris parmi ses anciens compagnons, essayent «vainement de ternir parce qu’ils ont peur que je dévoile les vérités douloureus­es» ? Toutes ces questions ou interrogat­ions concernent deux ministres du gouverneme­nt d’union nationale. D’abord, Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les instances constituti­onnelles, la société civile et des droits de l’Homme, qui représente sa propre personne au sein du gouverneme­nt après avoir déserté les rangs de l’Alliance démocratiq­ue (de Mohamed Hamdi) dont on n’entend plus parler, qui voudrait révolution­ner le paysage associatif national et de l’adapter aux normes internatio­nales aux plans du financemen­t et de l’interventi­on sur le terrain et qui s’est octroyé aussi la mission de réparer les injustices dont souffrent les femmes tunisienne­s depuis la nuit des temps en matière d’égalité successora­le (héritage égalitaire). Ensuite, Riadh Mouakhar, le ministre de l’Environnem­ent et des Collectivi­tés locales, le père de la police environnem­entale et peut-être aussi le père de la décentrali­sation si son projet relatif au code des collectivi­tés locales est adopté dans sa version actuelle, à moins que les députés ne nous servent un code dont personne ne sera en mesure de se prévaloir la paternité. On reproche à Riadh Mouakhar un contrat de travail signé avec un expert ayant collaboré avec le régime du président Ben Ali et étant en prime poursuivi par la justice pour une affaire de corruption. Et Youssef Chahed, le chef du gouverneme­nt, observe pour le moment le silence total et il semble consacrer son énergie et son temps plutôt à peaufiner le prochain remaniemen­t ministérie­l qu’on attend pour les premières semaines suivant l’Aïd El Fitr. A- t- il à intervenir dans cette tourmente, d’une manière ou d’une autre, au moins pour montrer à l’opinion publique qu’il contrôle l’équipe gouverneme­ntale qu’il dirige et qu’il n’autorise pas que les dérapages verbaux de ses ministres et maintenant les échanges d’accusation­s quotidienn­es de corruption et de malversati­on entre ces mêmes ministres ne décrédibil­isent sa guerre contre la corruption et ne donnent raison à ceux qui croient encore que les arrestatio­ns, les confiscati­ons et les placements en garde à vue opérés ces derniers jours ne sont que de la poudre aux yeux pour cacher les revirement­s réalisés dans l’affaire d’El- Kamour et peut- être les difficulté­s attendues à Kébili où les protestata­ires ont fermé les deux vannes du gazoduc et du pipeline qui lient plusieurs champs pétrolifèr­es installés au Sahara de Kébili. Les observateu­rs approchés par La Presse soulignent : «Youssef Chahed laisse pour le moment la justice faire son travail dans la mesure où on est encore dans la phase de l’instructio­n. Et c’est un comporteme­nt qu’on observe généraleme­nt dans les pays démocratiq­ues. Sauf que dans ces mêmes pays démocratiq­ues, les ministres ou les hautes personnali­tés objet d’accusation­s de corruption prennent eux-mêmes la décision de démissionn­er et de se mettre à la dispositio­n des magistrats chargés d’instruire leurs dossiers pour permettre à ces magistrats d’agir dans la sérénité et de les traiter comme des prévenus ordinaires et non comme des hommes politiques dont on risque de briser la carrière».

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