Le couple franco-allemand prépare son coup
Avec l’organisation, le mois prochain, d’un conseil des ministres mixte et la mise à l’ordre du jour de réformes touchant le fonctionnement de l’Union européenne, France et Allemagne expérimentent à l’échelle de leur relation ce qui, demain, pourrait servir de modèle à proposer au reste des pays membres
Le 25 mars dernier, l’Europe célébrait le soixantième anniversaire du traité de Rome dans un climat d’inquiétude sur son avenir. La décision britannique de quitter l’Union et les incertitudes concernant l’issue de l’élection présidentielle en France s’ajoutaient alors à un contexte général marqué par ce que les Européens eux-mêmes appellent, de façon un peu pudique, «euroscepticisme»... Un langage à la fois plus direct et plus juste dirait «europhobie» : on n’explique pas autrement le fait que les partis populistes se soient mis à prospérer de façon de plus en plus dangereuse à travers les différents pays membres en axant leur promesse électorale sur une sortie rageuse de l’Europe, avec sa bureaucratie bruxelloise, ses lois, ses directives... Ce jour-là, quand le président du Conseil européen, Donald Tusk, évoquait au sujet de l’Europe l’idée d’une «union d’unité politique», il était légitime de mettre de tels propos sur le compte d’une rhétorique aux accents utopistes. Dans le meilleur des cas, on en retenait qu’une prise de conscience existait en haut lieu d’une nécessaire refondation du projet européen. De l’eau a coulé sous les ponts depuis cette date... Mardi dernier à Berlin, devant des industriels, Angela Merkel a parlé de la possibilité que l’Allemagne fasse siens le projet de création d’un poste de ministre européen des Finances ainsi que celui d’un budget commun. Ces deux idées avaient été développées par Emmanuel Macron lors de sa campagne électorale, lui dont l’ambition affichée par ailleurs était de terrasser le spectre du populisme durant son mandat, aussi bien à l’intérieur des frontières françaises qu’au-delà. Ce qui s’est passé depuis le 25 mars dernier, c’est d’abord la victoire écrasante du nouveau président français et c’est ensuite la victoire tout aussi écrasante de son mouvement aux élections législatives de dimanche dernier. C’est aussi le premier déplacement à l’étranger de Macron qui, une semaine à peine après son élection, s’est rendu à Berlin dans un geste plein de sens : celui d’une volonté de relancer l’Europe avec l’Allemagne. Un conseil des ministre francoallemand avait été annoncé pour le mois de juillet par Angela Merkel lors d’une conférence de presse, dans l’hypothèse bien sûr où le président Macron recueillerait la majorité parlementaire requise pour mettre en oeuvre son programme. Comme cette majorité existe désormais, ce conseil des ministres aura bien lieu : il devrait se pencher sur des questions telles que les réformes relatives au fonctionnement de la zone euro, le droit d’asile, la politique commerciale, la défense commune... Tout se passe comme si le couple francoallemand se réservait le droit de créer, à l’échelle de sa propre relation bilatérale, les conditions d’une redynamisation européenne : conditions qui pourraient aussi, à travers un certain nombre de décisions, donner corps progressivement à cette union d’unité politique dont a parlé Donald Tusk à Rome. Le pari, en somme, est de recommencer l’aventure européenne de telle sorte que les peuples puissent de nouveau y adhérer et se prendre de passion pour elle. Ce qui est toutefois assez étrange, c’est que le couple Macron-Merkel semble proposer le modèle d’un exécutif européen encore plus fort que celui que l’on connaît à travers la commission de Bruxelles : un exécutif qui va donc mettre encore plus à mal la souveraineté des différents pays membres. On aurait pu s’attendre à ce que la démarche consistât à faire des concessions au principe de souveraineté nationale, pour faire taire ceux pour qui le péché de l’Europe est précisément de porter atteinte à ce principe. L’option est tout autre : elle est de renforcer l’harmonie de la politique européenne. De renforcer cette harmonie plutôt que de créer le cadre à l’intérieur duquel pourrait cohabiter sans accroc une pluralité de politiques nationales distinctes. Ce pari, audacieux, ne peut tenir que si l’harmonisation se traduit par une politique commune qui se donne aussi pour objectif de réhabiliter les régions, leur génie ancien de faire acte de civilisation dans le respect de la nature et dans le respect d’une mémoire qui remonte loin dans le passé des hommes. L’attachement des citoyens à la dimension locale, s’il n’est pas entraîné dans l’élan de l’Europe, s’il ne trouve pas une place dans le dynamisme de son projet, se figera fatalement dans une posture de refus. Bref, le pari franco-allemand peut être gagné s’il parvient, dans un premier temps, à renforcer considérablement l’harmonie de la politique européenne et, dans un second temps, à mettre cette harmonie au service de la dimension locale et, ainsi, à sauver cette dernière de l’utilisation pernicieuse que peut en faire tout populisme épris de ses horizons étroits.