Les tentaculaires ramifications de la piovra
Les cartels du crime sont interdépendants. Ils communiquent entre eux et s’imbriquent à travers des subterfuges financiers et des astuces plus ou moins légales, des sociétés écrans, des montages financiers douteux et des réseaux diffus dans l’administrati
Le tout, bien évidemment, sous l’oeil tantôt laxiste, tantôt complice d’hommes politiques, de grands commis de l’administration, de députés. Ce qui est certain, c’est que la lutte anticorruption ne fléchit guère. Du moins pour le moment, et même si nombre d’observateurs pointent du doigt sa lenteur ou sa sélectivité. Avant-hier encore, de nouvelles assignations à résidence ont eu lieu en vertu de la loi d’urgence. De même, la Commission de la confiscation a procédé à de nouvelles mesures de confiscation de biens meubles et immeubles. Deux jours auparavant, le parquet avait procédé au gel des avoirs de M. Slim Riahi, président de l’UPL, pour corruption et blanchiment d’argent. Renseignements pris, les différentes opérations s’avèrent fort salutaires pour le trésor public. Des milliards de dinars renflouent les caisses et alimentent les liquidités. Pour les autorités, c’est en quelque sorte le retour au bercail des biens publics détournés et injustement accaparés. Et pour cause, deux des personnes dont les biens avaient été confisqués fin mai sont redevables, à elles seules, de plus d’un milliard de dinars pour la seule douane. Et la confiscation des biens d’une des personnes arrêtées porte, entre autres, sur pas moins de 300 titres fonciers, avec titre bleu, sans compter les constructions verticales. Les biens et liquidités contrôlés par la contrebande et via les réseaux de la corruption frappent l’imagination, tant par leur ampleur que par leurs ramifications. L’un des dossiers ressaisis, après avoir été étrangement en souffrance judiciaire depuis 2012, porte sur la contrebande de neuf mille tonnes de cuivre, équivalant à quelques centaines de milliards. Une bonne partie du cuivre est acheminée, par les réseaux de la contrebande, en Israël, via la Turquie. Et après l’avoir retraité, recyclé et procédé à son blanchiment, les Israéliens le revendent sur les marchés européens qui nous le revendent à leur tour sous forme de différents produits. Autre phénomène et non des moindres : il s’agit le plus souvent de cartels du crime organisé. La contrebande, la corruption, le terrorisme et le grenouillage y font bon ménage. Le spectre de leurs domaines d’intervention et d’exercice est très large. L’une des personnes qui a échappé aux mailles du filet in extremis et s’est enfuie à l’étranger serait même copropriétaire d’un journal de la place. Les cartels du crime sont interdépendants. Ils communiquent entre eux et s’imbriquent à travers des subterfuges financiers et des astuces plus ou moins légales, des sociétés écrans, des montages financiers douteux et des réseaux diffus dans l’administration, les services publics et la finance de haut vol.
Réflexe collectif d’autodéfense, sainte alliance des véreux
Le tout, bien évidemment, sous l’oeil tantôt laxiste tantôt complice d’hommes politiques, de grands commis de l’administration, de députés. Cela explique deux phénomènes facilement identifiables depuis le déclenchement sur les chapeaux de roues de la guerre anticorruption le 23 mai dernier. En premier lieu, les arrestations et poursuites légales touchent divers domaines. Cela va du commerce de contrebande aux associations en passant par l’industrie, les médias, les produits de luxe, les devises, les services, les spéculations immobilières et les amusegueules. En second lieu, les séides de la corruption, de la contrebande et leurs affidés ont tôt fait de se liguer. Ils campent une posture de plus en plus agressive, dans un réflexe collectif d’autodéfense doublé de la tentative d’intimider et de déstabiliser les autorités, la magistrature et les médias, politiquement au besoin. La sainte alliance des véreux en désespoir de cause est on ne peut plus manifeste. Elle transcende les partis et les chapelles politiques ; la corruption, comme l’argent, n’ayant guère d’idéologie ou d’odeur. De l’autre bord, on remarque la mobilisation de larges franges de l’opinion en faveur de la lutte anticorruption. Même si, là aussi, on observe un certain nombre de sceptiques, dont les craintes et préventions s’avèrent le plus souvent justifiées. En tout état de cause, la lutte anticorruption avance peut-être lentement mais sûrement. Elle gagnerait à ne point être sélective. Sa mise en branle est, en soi, un garant de sa réussite. Parce que, comme le disait Confucius, les murs les plus puissants s’effondrent par des fissures.
La lutte anticorruption avance peut-être lentement mais sûrement. Elle gagnerait à ne point être sélective. Sa mise en branle est, en soi, un garant de sa réussite. Parce que, comme le disait Confucius, les murs les plus puissants s’effondrent par des fissures.