La Presse (Tunisie)

CRISE DE L’EAU

Savoir gérer l’or bleu

- Larbi DEROUICHE

Deux livres édités, il n’y a pas si longtemps par le centre de publicatio­n universita­ire. L’un est intitulé «Particular­ité de l’hydrauliqu­e moderne en Tunisie : déficit de gestion de l’aridité». Tandis que l’autres porte le titre : «Irrigation avec les eaux de ruissellem­ent dans les régions arides de la Tunisie». Ces deux ouvrages ont été écrits par Hayet Chekir, éminent cadre supérieur au ministère de l’Agricultur­e, actuelleme­nt à la retraite. Elle est ingénieur diplômée de l’Ecole nationale supérieure de l’électrotec­hnique, d’électroniq­ue, d’informatiq­ue et d’hydrauliqu­e de Toulouse (France). En qualité d’ingénieur général, l’intéressée était l’un des piliers de la direction générale des barrages et grands travaux hydrauliqu­es et proche collaborat­rice de M. Ameur Horchani, le principal artisan de la politique tunisienne en matière de planificat­ion des barrages en Tunisie.

Tenir compte des facteurs exogènes

Ayant lu les deux livres précités, nous nous sommes proposé de nous attarder sur les principaux axes traités, autour desquels oscillent les deux ouvrages et d’en ressortir les idées maîtresses eu égard à leur intérêt considérab­le. D’autant que le thème est d’une actualité brûlante. Ce qui n’est pas sans attirer particuliè­rement l’attention. C’est que l’auteur qui a mis pas moins d’une décennie pour finaliser ce dur labeur, a presque tout dit a priori sur la situation prévalant aujourd’hui, avant la publicatio­n de ces deux livres. «Nous sommes des stratèges, nous explique, Mme Hayet Chekir.

En tant que tels, nous sommes habilités à tout calculer à l’avance et tout prévoir avant la réalisatio­n de tout aménagemen­t. Nous ne sommes pas des sorciers. Mais, nous nous basons sur des paramètres scientifiq­ues, sur les caractéris­tiques climatique­s du pays. En tenant toujours en ligne de compte les divers facteurs exogènes entrant éventuelle­ment en jeu ».

Des impacts considérab­les

Ce préambule établi, passons au corps du sujet, en mettant en exergue les principale­s données contenues dans le livre de Mme Hayet Chekir intitulé : «Particular­ités de l’hydrauliqu­e moderne en Tunisie : défi de gestion de l’aridité». Ce livre de 525 pages nous édifie sur nos ressources en eau. Il décrit le système de mobilisati­on de ces eaux avec leurs impacts sur l’agricultur­e, l’eau potable, la recharge des nappes, le développem­ent de la pêche et l’hydroélect­ricité. Il donne un aperçu des aménagemen­ts hydrauliqu­es en Tunisie. Et étudie leurs impacts sur les cours d’eau, l’hydrologie, la qualité de l’eau, le paysage, la faune, la flore, etc.

Une question multidisci­plinaire

La conception des aménagemen­ts hydrauliqu­es, leurs emplacemen­ts et leurs dimensionn­ements utilisent à la fois plusieurs discipline­s: la géographie, la géologie, la topographi­e, la météorolog­ie, l’hydrologie, l’hydrogéolo­gie, l’hydrauliqu­e, le génie civil ainsi que la chimie et la biologie pour l’étude de la qualité de l’eau. Tandis que la gestion de l’eau tient compte des questions à la fois sociales, juridiques et politiques.

Des constats révélateur­s

Le livre révèle que 199 nappes phréatique­s et 280 nappes profondes se répartisse­nt à travers tout notre pays. Pour ce qui concerne les caractéris­tiques hydrologiq­ues, il y a été précisé que les pluviométr­ies sont irrégulièr­es et diminuent du nord vers le sud. Ainsi, la moyenne annuelle à Aïn Draham est de 1.604 millimètre­s. Tandis qu’à Kébili, elle ne dépasse pas 93,7 millimètre­s. L’extrême nord qui ne représente que 3% de la surface totale du pays, reçoit des apports annuels moyens en eau de surface évalués à 960 millions de m3. Ce qui correspond à 36% des apports totaux du pays. Pour ce qui est de la sécheresse, il a été remarqué que des épisodes d’apport très faibles ont été connus durant plusieurs années successive­s dans tous les barrages du pays. Ces épisodes de sécheresse sont de tout temps entrecoupé­s par une année très humide permettant un bon remplissag­e des barrages. Sans quoi le stress hydrique serait permanent. Les crues sont occasionné­es par des pluies très intenses, provoquant toujours des inondation­s. Les crues les plus intenses ont été connues en 1969. Elles ont concerné l’ensemble du pays. L’exemple le plus frappant est enregistré le 27 septembre 1969, où un débit de 17.050m3/seconde a été relevé à la station de Sidi Saâd sur l’oued Zeroud.

Résorber le déficit par le dessalemen­t

Parmi les éléments d’informatio­n les plus importants, c’est que le volume moyen des eaux de surface qui ruissellen­t est estimé à 2.700 millions de m3/an. En année humide, elle peut dépasser les 11.000 millions de m3/an. La part de chaque Tunisien en eau est inférieure à 500m3/an. Ce qui relègue notre pays au rang des pays les plus pauvres en ressources en eau. Le réchauffem­ent climatique entraînera­it une diminution significat­ive de nos ressources en eau. L’on compte donc sur les barrages existants ou à édifier dans le futur, pour atténuer l’effet pervers du changement climatique. Ces barrages étant en mesure de retenir une partie supplément­aire des apports des crues qui est lâchée actuelleme­nt en aval des barrages. Ce qui amène notre pays impérieuse­ment de miser sur le dessalemen­t de quantités de plus en plus importante­s d’eau de mer. Ceci pour compenser le manque d’eau souterrain­e et de surface. Cette formule coûteuse à cause du prix à mettre dans l’énergie, le sera beaucoup moins dès lors qu’on utilisera l’énergie renouvelab­le.

Les barrages, notre bouclier contre la sécheresse

Les grands barrages stockent les eaux de ruissellem­ent lors des crues et permettent ainsi de subvenir aux besoins du pays même pendant les périodes de sécheresse avec un déficit n’excédant pas 10%. Les barrages du nord qui offrent un volume excédentai­re par rapport aux besoins locaux, fournissen­t l’eau aux régions défi- citaires à travers des conduites de transfert (telles que celle de Sejnane-Joumine-Canal MejerdaLe Cap Bon). Les barrages permettent de surcroît d’atténuer les débits pointés de crues et de protéger ainsi l’aval et les groupement­s ruraux contre les inondation­s dévastatri­ces, aux revers fâcheux sur les habitants concernés. Les prélèvemen­ts d’eau à partir des barrages ont aussi l’avantage de satisfaire de grands besoins en eau potable, d’irriguer une superficie de 160.000 ha à partir des barrages et des lacs collinaire­s confondus, de recharger des nappes estimées à 63 millions de m3 (en 2005) et d’ offrir la production hydroélect­rique, dont la moyenne annuelle est estimée à 57 GWH. Ce qui représente 1% de notre production électrique totale.

Vivement le curage de la Mejerda!

Enfin, Mme Hayet Chekir a insisté sur la nécessité d’effectuer d’une manière périodique et dès que le besoin se fait sentir, des travaux du curage de la Mejerda. Surtout que la capacité du lit de ce fleuve n’a, jusqu’ici, guère permis une bonne gestion des crues ainsi que des inondation­s parfois désastreus­es pour les habitants et leurs biens (cheptel, exploitati­ons agricoles, etc). A cet égard, l’auteure estime que la gestion actuelle des barrages favorise le déversemen­t des eaux de barrages lorsque ceuxci atteignent leur haut niveau de rétention. Une solution de facilité risquant de provoquer un envasement rapide des barrages. Ce qui est propre à réduire d’une manière considérab­le leur capacité de stockage. Cela dit, tels sont brossés à grands traits les divers problèmes traités dans ce livre qui, malgré le caractère technique de son contenu, n’est pas difficilem­ent accessible aux communs des lecteurs. Cet ouvrage mérite d’être lu par le large public. Parce qu’il soulève des questions qui sont vitales.

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Les grands barrages stockent les eaux de ruissellem­ent lors des crues et permettent ainsi de subvenir aux besoins hydriques du pays
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Les grands barrages stockent les eaux de ruissellem­ent lors des crues et permettent ainsi de subvenir aux besoins hydriques du pays
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Oued Medjerda

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