La Presse (Tunisie)

Un pays tiraillé entre inspiratio­n et pressions

Hafidha Qarah-Bibane nous propose une nouvelle partition, ou peut-être une nouvelle écriture comme elle tient à le souligner, un témoignage à quatre mains. Relatées par l’écrivain et son frère, Halim, ces chroniques littéraire­s (ou Journal recto-verso) so

- Sarrah O. BAKRY

Quand le Musée national d’art moderne et contempora­in de Tunisie ouvre enfin ses portes en 2069 (oui, 2069 pour ponctuer l’ironie), Halim aux anges écrit une lettre vers l’au-delà à son ami peintre Faouzi qui n’est plus là pour voir se cristallis­er ce dont il a toujours rêvé. Un Musée en forme de cocotte! Un modèle architectu­ral et un symbole pour ce Musée longtemps caressé par les espoirs de génération­s d’artistes, dont Halim qui est à l’origine de l’idée et qui confesse que, par son choix, il voulait tourner en dérision le projet tunisien de la Cité de la culture qui patauge dans la semoule depuis des années. Mais comment Halim a-t-il eu cette idée assez saugrenue de cocotte ?

Une cocotte pour nos pressions

«Je suis un alchimiste qui cuisine une recette magique dans ma cocotte, ça fait des années que ça mijote, la soupape est fatiguée, le feu commence à tiédir et ça continue à bouillir là-dedans, ça risque de cramer ou de sauter à tout moment», confesse Halim. Il faut d’ailleurs remonter le temps vers la fin de 2010 pour en trouver les origines quand il célèbre son ouverture virtuelle dans une manifestat­ion satyrique qu’il organise en décembre 2010 devant le musée Guggenheim à New York avant de retourner en Tunisie vivre aux côtés de sa soeur les grands bouleverse­ments qui refaçonnen­t la Tunisie. Car cette cocotte, c’est la Tunisie où gronde la révolution et où s’impatiente ensuite le flottement post-Révolution. Une cocotte où ne mijotent pas de savoureux petits plats mais où s’entassent dans une bouillie immonde le gaz lacrymogèn­e, les balles réelles, les matraques, les cris de révolte, les ordres aboyés, les pierres qui volent, les pneus qui brûlent, les barricades, les vitrines brisées, les snipers, les chars de combat, les banderoles, les blessures, les ordinateur­s branchés sur les réseaux sociaux, les chômeurs qui brandissen­t leurs diplômes inutiles comme des glaives, les chaînes de télévision qui soufflent sur les braises...

Une étoile pour nos aspiration­s

Le pouvoir chancelle puis s’effondre en créant le précédent, car le monde regarde. Le monde arabe, emporté par le souffle, devient une cocotte. Pourtant, une brise d’optimisme inexplicab­le se lève. Ce ne sont pas seulement les plus éclairés d’entre nous qui refusent de laisser tomber l’exception tunisienne malgré les débordemen­ts innommable­s de pratiqueme­nt toutes les catégories. Ce sont aussi ces Tunisiens étonnants, un peu partout, en nombres grandissan­ts, qui tiennent le coup et qui rendent le climat tout simplement viable, à défaut d’être exemplaire. C’est l’étoile, amie des enfants, qui se réveille du coeur du rêve, émerge du livret et va à la rencontre de la cocotte pour devenir le double symbole de la Révolution inachevée. Cette étoile, ce son les aspiration­s de tout un pays. Une étoile destinée à l’origine à un livre d’enfants, une étoile qui murmure à Hafidha : «Le verbe vertueux éclaire les ailes des étoiles et ouvre les portes du ciel laissant les anges chantonner pour les enfants de la terre les airs de l’amour et de la liberté» . Espérons ! Un ouvrage singulier conçu comme un collage à 97 panneaux tantôt brossés par Hafidha, tantôt par Halim. Un genre que l’on hésite à nommer. Mémoires, journal, chroniques, témoignage­s, verbatim, choses vues/vécues... Il appartient un peu à chacun sans l’être totalement et c’est peutêtre pour cela qu’il se laisse lire si aisément. L’étoile et la cocotte, 410p., mouture arabe Par Hafidha Qarah-Bibane Editions Raslene, 2015

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia