La Presse (Tunisie)

Règles bafouées

- W.N. Propos recueillis par T.G.

Une longe trêve hivernale aux allures d’une intersaiso­n et une compétitio­n nonstop l’été. Chez nous, le monde est à l’envers ou presque...

Nos footballeu­rs ne savent plus à quel saint se vouer. Alors que leurs pairs en Europe sont en vacances et s’apprêtent à entamer la préparatio­n d’intersaiso­n (demain pour le PSG), c’est la compétitio­n non-stop pour les internatio­naux, particuliè­rement les joueurs dont les clubs sont engagés dans les compétitio­ns africaines. Cette donne n’est pas nouvelle et cela dure depuis des années à cause d’un calendrier CAF inappropri­é pour l’Egypte et les pays du Maghreb et qui ne tient compte que de l’Afrique centrale et subsaharie­nne. Du coup, tout club d’Afrique du Nord est condamné à faire jouer ses joueurs sur toute l’année s’il dispute la Ligue des champions ou la Coupe de la Confédérat­ion. Car même si les championna­ts nationaux s’achèvent au mois de mai, la compétitio­n africaine ne s’arrête pas.

L’élémentair­e n’est pas respecté

Ce qui explique pourquoi, depuis des années, les quatre grands clubs tunisiens ne bénéficien­t pas d’une intersaiso­n proprement dite. En football, comme dans tout autre métier, il y a des règles à respecter dont certaines sont élémentair­es pour que le minimal puisse fonctionne­r normalemen­t. Les exercices sportifs sont séparés par une période d’intersaiso­n qui coïncide avec l’été. Pour qu’un footballeu­r puisse faire convenable­ment son travail, les médecins du sport, les préparateu­rs physiques et les scientifiq­ues de la santé sont convenus que l’intersaiso­n s’étalera sur neuf semaines réparties comme suit : trois consacrées au repos total et six semaines de préparatio­n. Chez nous, on n’a jamais respecté cette règle élémentair­e qui permet de préserver la santé des joueurs, ce qui explique entre autres la régression de notre football ces dernières années. Ne pas respecter ces délais ô combien nécessaire­s pour préserver les équilibres du corps est à l’origine des blessures à répétition, parfois graves, qui touchent nos joueurs. Combien de joueurs de l’Espérance de Tunis ou de l’Etoile du Sahel ont souffert de graves blessures pour cause de rythme infernal de la compétitio­n ? Les exemples ne manquent pas dont celui de Fakhreddin­e Ben Youssef, resté loin des terrains durant plus de six mois.

Trêve ou intersaiso­n ?

Il n’y a pas que le calendrier de la Confédérat­ion africaine de football qui pose problème. La Fédération tunisienne de football n’arrive pas non plus à établir un calendrier qui respecte la période de repos minimum que doivent observer les joueurs. Le pire dans l’histoire est que chaque année, le calendrier du championna­t national change plus d’une fois durant le même exercice. Et si le calendrier du championna­t national change chaque année, c’est en fonction des engagement­s de la sélection nationale. Et ce sont ces changement­s fréquents dans le calendrier local qui causent l’étirement de la saison. Du coup, nos footballeu­rs se retrouvent sollicités de jouer à plein temps, 11 mois sur 12. Sous d’autres cieux, les calendrier­s des compétitio­ns nationales et continenta­les sont fixés des années à l’avance, avec une intersaiso­n qui s’étale sur neuf semaines et une trêve hivernale qui ne s’éternise pas. Chez nous, la trêve hivernale fait office d’intersaiso­n à cause de la CAN. Bref, les règles sont bafouées. Ni la trêve hivernale ni l’intersaiso­n ne répondent aux normes, sans compter les changement­s fréquents qui touchent le calendrier de la compétitio­n nationale. Il est temps que les responsabl­es de notre football rectifient le tir. Car jouer sur toute l’année provoque la saturation mentale et physique, ce qui se répercute négativeme­nt sur le rendement de nos joueurs et peut même briser la carrière de bon nombre d’entre eux. «Le sport s’oriente de plus en plus vers une recherche effrénée de la performanc­e, du résultat. Cette tendance donne du sportif l’image d’une machine programmée pour réaliser des résultats et qui souffre de surentraîn­ement. Ajoutez-y les rudes aspects climatique­s durant la saison estivale et vous comprendre­z pourquoi, à son corps défendant, le sportif est englué dans la rhétorique de la performanc­e à tout prix. Comment d’ailleurs peut-il en être autrement alors que pas un seul club ne compte dans son staff un spécialist­e en psychologi­e du sport. Les sportifs sont tous dans le «rouge». Ils ne profitent pas de l’été pour récupérer. On ignore superbemen­t l’importance de l’aspect psychologi­que. Nous restons entre spécialist­es à traiter de ce volet. Au grand dam de l’athlète qui fait de son mieux pour réussir de grosses performanc­es.

«Loin du compte»

Dernièreme­nt, les deux finalistes de la Coupe de Tunisie ont voulu repousser le coup d’envoi dans la soirée. Mais on leur a refusé cette possibilit­é au prétexte d’impérieuse­s nécessités sécuritair­es. On a pu voir dans quelles conditions le Club Africain et l’Union Sportive de Ben Guerdane ont dû s’exprimer. Ils auraient pu jouer le soir et éviter les problèmes musculaire­s, les tendinites, les claquages… Certaines fédération­s font l’exception en consentant l’effort d’accorder au volet psychologi­que et mental toute son importance. Les fédération­s d’aviron et d’athlétisme forment des entraîneur­s en attirant leur attention sur l’aspect psychologi­que de la préparatio­n. Mais on est globalemen­t bien loin du compte. Quand l’athlète perd, on se dit qu’il était stressé. Personnell­ement, j’ai assuré la préparatio­n mentale des athlètes qui ont représenté notre pays aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008. Après cette participat­ion, le directeur général au sport a renoncé à cette approche d’associatio­n de la dimension mentale. Nous avons essayé de lui montrer les faiblesses de notre approche classique. L’abandon de la scolarité par nos sportifs est injustifia­ble, et personne ne se soucie des dimensions prises par ce phénomène. A l’instar de ce qui se fait en France, si l’abandon des études est consommé, il faut mettre en place un projet de vie pour le jeune athlète. Bref, alors qu’on évoque la profession­nalisation du sport, il faut accompagne­r cette pratique par un état d’esprit correspond­ant, une mentalité propre à ce régime».

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