La Presse (Tunisie)

Le Qatar, la Libye et la politique de médiation

La crise du Golfe, qui connaît ce jour des développem­ents, va fatalement donner lieu à de nouvelles tentatives de résolution... La diplomatie arabe de la médiation creuse ainsi son sillon, que le conflit libyen avait déjà ouvert, et où la Tunisie, riche d

- Par Raouf SEDDIK

La crise du Golfe, qui connaît ce jour des développem­ents, va fatalement donner lieu à de nouvelles tentatives de résolution... La diplomatie arabe de la médiation creuse ainsi son sillon, que le conflit libyen avait déjà ouvert, et où la Tunisie, riche de son expérience du dialogue politique, tient à imprimer sa marque

Aujourd’hui, mercredi 5 juillet, sont réunis au Caire les chefs de la diplomatie de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis, de Bahreïn et de l’Egypte. A l’ordre du jour, les dispositio­ns à prendre à l’égard de la réponse opposée par le Qatar à la liste des 13 demandes que ce dernier avait reçue des quatre pays cités. La teneur de la réponse officielle du Qatar, transmise lundi dernier, n’a pas été rendue publique mais tout porte à croire qu’il s’agit d’un refus, et probableme­nt même d’un refus catégoriqu­e. Selon des informatio­ns rapportées d’un échange qui impliquait un représenta­nt de l’Etat émirati, de nouvelles sanctions sont envisagées qui devraient aggraver la rupture des relations diplomatiq­ues, la fermeture des frontières et l’interdicti­on de l’espace aérien. On parle d’une exclusion du Qatar du Conseil de coopératio­n du Golfe et, surtout, de l’obligation faite aux pays tiers de choisir, dans leurs relations économique­s, entre eux et le Qatar. Rien que ça ! Nous aurons bientôt des précisions sur ce sujet, sans doute aussitôt que le médiateur koweïtien aura fait parvenir aux autorités qataries le texte relatant les décisions prises. Le Koweït, membre lui aussi du Conseil de coopératio­n du Golfe, a adopté dans cette affaire le rôle de médiateur. Mais, pour l’instant, sa mission semble se résumer à celle d’un facteur qui transmet les messages d’une partie à une autre. Il sera intéressan­t de voir quelle attitude il va adopter dans le cas où l’Arabie Saoudite et ses alliés mettaient à exécution leur décision d’obliger les pays tiers à choisir leur camp dans leur politique d’échanges économique­s. La même réflexion s’applique à l’autre Etat du Golfe qui est resté jusqu’ici en retrait : Oman. On ne peut manquer de relever ici que les pays arabes du Golfe, et en particulie­r les petits émirats situés sur la partie orientale de la péninsule arabique, ont pris ces dernières années une importance disproport­ionnée sur l’échiquier du jeu diplomatiq­ue, bien au-delà de la région à laquelle ils appartienn­ent, et ce à travers le soutien que certains d’entre eux apportent à d’autres pays grâce à leurs moyens financiers hors normes. C’est particuliè­rement le cas du Qatar, qui a soutenu les révolution­s arabes, et qui a favorisé aussi la composante islamiste dans la participat­ion à ces mouvements d’insurrecti­on. Mais c’est aussi, comme chacun sait, celui des Emirats arabes unis, dont l’option a été de contrecarr­er les manoeuvres du Qatar. A telle enseigne que dans beaucoup de pays arabes touchés par les insurrecti­ons, le spectre politique se divise en courants proches du Qatar et en courants proches des Emirats. Comme si la rivalité de ces deux émirats dont la superficie équivaut à deux de leurs provinces s’étaient entièremen­t déplacée à l’intérieur de leur vie politique. Récemment, l’Etat émirati a cependant pris une initiative de médiation qui le rapproche du rôle joué actuelleme­nt par le Koweït. Mais, à vrai dire, ce rôle, il ne l’a pas conçu comme quelque chose qui l’obligeait à se départir d’une position favorable à l’un des protagonis­tes du conflit. Nous voulons parler ici de la réunion organisée à Abou Dhabi le 2 mai dernier et qui concerne la crise libyenne. Cette réunion était doublement importante parce que, pour la première fois, elle a permis une rencontre directe entre le Premier ministre du gouverneme­nt d’union nationale, Fayez El-Sarraj, et le maréchal Khelifa Hafter. Le lendemain, le président égyptien faisait le déplacemen­t et se joignait aux deux précédents. Un accord a été signé à l’issue de cette réunion d’Abou Dhabi en vertu duquel le Conseil présidenti­el — structure prévue dans les accords de Skhirat — faisait une place en son sein au maréchal Hafter. Il est assez clair que pareille initiative a surtout fait l’affaire de ce dernier, dont aussi bien les Emirats que l’Egypte sont des soutiens fidèles dans ses combats contre ses adversaire­s islamistes. Le contrecoup de l’accord signé a été, par conséquent, que les milices qui continuent de se partager le contrôle dans la zone occidental­e du pays, ainsi que les mouvements politiques qui formaient l’ancien pouvoir à Tripoli, se sont sentis floués et trahis par Fayez Al-Sarraj, qu’ils avaient soutenu dans le passé dans le cadre de la mise en applicatio­n des accords de Skhirat et à qui ils reprochent maintenant sa diplomatie des concession­s à l’ennemi juré qu’est Khelifa Haftar. La diplomatie émiratie de la médiation a donc eu des résultats mais ces résultats demeurent manifestem­ent limités. C’est un peu l’inverse avec une autre initiative de médiation, qui est l’initiative tunisienne, engagée le 15 décembre dernier. Elle n’a aucun résultat concret à faire valoir à ce jour mais elle oeuvre dans la discrétion à l’atteinte d’un accord global, qui n’exclut personne, et elle cherche à élargir la base de soutien internatio­nal en vue de la mise en place d’un processus de dialogue national en Libye. Cette option a été réaffirmée dimanche dernier à Addis Abeba, lors d’un discours de Béji Caïd Essebsi lu par les soins du ministre des Affaires étrangères devant les participan­ts à la réunion du Comité de haut niveau de l’Union africaine. Le président tunisien a appelé le secrétaire général de l’ONU à hâter la mise en place d’un dialogue politique conforméme­nt aux mécanismes convenus dans l’accord politique du 15 décembre. L’appel lancé à celui qui préside aux destinées de l’Organisati­on des Nations unies à partir de l’enceinte de l’Union africaine est en soi porteur d’un message implicite : il consacre, comme nous le disions, le choix de mobiliser un soutien large en faveur de la solution du dialogue politique, et de rechercher ces soutiens en priorité au niveau de la région où se situe le conflit. Il sera intéressan­t de voir, dans les jours qui viennent, comment la crise du Golfe pourra de son côté faire émerger de nouvelles initiative­s diplomatiq­ues arabes : des initiative­s plus engagées que celle dont le Koweït nous a donné jusqu’ici l’exemple.

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