La Presse (Tunisie)

Médias : une «mainmise» de l’Etat ?

- Par M’hamed JAÏBI

Une partie du capital de la société éditant le journal «Al Maghreb» vient de passer aux mains de l’Etat, posant, une fois de plus, la question des incidences des confiscati­ons de biens au profit de l’Etat depuis la révolution, et de l’usage peu reluisant qui en est fait.

Parmi les 7 nouvelles personnes, en effet, dont les biens viennent d’être confisqués vendredi dernier, on note Habib Haouas, actionnair­e à hauteur de 10% de ce quotidien, fondé par Omar S’habou, qui avait symbolisé la résistance à l’islamisati­on forcée sous la Troïka.

Alors que la libre expression et la liberté de presse sont retenues comme les acquis les plus remarquabl­ement démocratiq­ues de la révolution, il est troublant de constater à quel point l’Etat est en mesure de contrôler de trop nombreux médias, soit dont il est propriétai­re soit dont il a acquis des parts de capital par le biais de confiscati­ons qui perdurent. Au niveau des grands quotidiens, l’Etat possède ainsi «La Presse» et «Assahafa» et contrôle «Assabeh» et «Le Temps» par confiscati­on. De même qu’il est propriétai­re des deux chaînes de télévision nationales 1 et 2 et des chaînes de la radio nationale en arabe, en français, culturelle et jeune, ainsi que les stations régionales : Sfax, Monastir, Le Kef, Gafsa, Tataouine et Panorama. Et il contrôle, par confis- cation, Shems FM et, partiellem­ent au moins, deux autres stations privées.

Mais le bras en apparence tentaculai­re de l’Etat n’est qu’une subtile illusion depuis la révolution, puisque personne ne contrôle ni la ligne ni le contenu de tous ces médias publics dont les dirigeants sont nommés par le gouverneme­nt, que dire de ceux lui revenant par confiscati­on, totalement ou en partie.

Par contre, les médias privés ont chacun sa ligne, ses références et ses lobbies qui peuvent évoluer et même tourner casaque. Et c’est à ce niveau que les parts confisquée­s semblent, à la fois, ne pas faire acte de présence de l’Etat, et accorder aux pouvoirs publics une inquiétant­e mainmise théorique.

Faut-il évoquer, ici, l’incidence de l’argent sale ou flou dans la naissance ou l’orientatio­n de tant de médias «engagés» jusqu’à la propagande ou le vil dénigremen­t. Faut-il revenir aux conciliabu­les ayant entouré l’éclosion ou le décès de telle ou telle chaîne, ou encore les tumultueus­es et mystérieus­es négociatio­ns ayant donné lieu à l’une des plus suivies. Tout cela est à mettre à plat dans la meilleure transparen­ce, si l’on veut vraiment rétablir et préserver la majesté du 4e pouvoir.

Penser à doter la presse écrite d’une structure démocratiq­ue censée veiller à l’éthique est une bien bonne résolution, mais tirer au clair la distributi­on du capital des entreprise­s de média et les mécanismes qui en contrôlent le fonctionne­ment est bien plus vital et urgent. Cela permettra de déterminer qui contrôle effectivem­ent tel ou tel média et pour le compte de qui. Et pourquoi donc l’Etat a et garde, mais sans effets réels, toute cette mainmise ?

le bras en apparence tentaculai­re de l’Etat n’est qu’une subtile illusion depuis la révolution, puisque personne ne contrôle ni la ligne ni le contenu de tous ces médias publics

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