La Presse (Tunisie)

« Le contrôle est nécessaire à condition d’être assorti de conditions strictes »

Constituti­onnaliste très en vue, membre démissionn­aire de la Haica, Rachida Ennaifer présente à l’ARP pour suivre le débat portant sur les dispositio­ns communes relatives aux instances constituti­onnelles. Elle nous fait part de ses réserves

- Propos recueillis par H.L.

Vous avez exprimé vos réserves quant à ce projet de loi organique, pour quelles raisons ? Mis à part le fait que l’édiction de cette loi cadre n’a pas été prévue par la Constituti­on, et d’ailleurs n’apporte rien de nouveau par rapport à la création des différente­s instances, le problème dans ce projet de loi- cadre, c’est qu’il n’établit pas un équilibre entre la nécessité d’assurer l’autonomie des instances et le contrôle que doit exercer le parlement. En tant qu’autorité qui choisit les membres des différente­s instances. En même temps, et par parallélis­me des formes, cette même autorité doit assurer le contrôle. Il y a une rupture d’équilibre au profit du contrôle qu’on peut considérer comme excessif. En essayant de préciser les différents cas de retrait de confiance par le parlement aux membres des instances, il attribue un pouvoir discrétion­naire absolu au parlement, « dans le cas où il y aurait un non-respect flagrant de la neutralité par un membre de l’instance, le parlement peut retirer sa confiance». Or, qui détermine la neutralité ou le degré de non-respect de la neutralité ? Mais ce même parlement n’est pas unicolore, c’est une Assemblée qui relève d’un Etat démocratiq­ue ou en tout cas en train de se mettre en place. Plusieurs partis politiques y sont représenté­s, le pouvoir à travers la majorité, mais l’opposition y est active également. Les risques d’abus ne sont-ils pas limités ? L’Etat démocratiq­ue est forcément un Etat de droit. Ce ne sont pas uniquement les urnes qui déterminen­t la démocratie. Dans un Etat de droit, la loi doit clarifier les cas de manquement de manière précise. Au contraire et lorsqu’on évoque de manière générale des cas « flagrants » sans préciser lesquels, on ouvre la porte aux abus. Ainsi, ce projet de loi donne la possibilit­é au parlement de démettre les membres du conseil d’une des instances si son rapport financier n’a pas été approuvé par le parlement. Normalemen­t, le parlement doit exercer un contrôle politique et non pas un contrôle financier, qui, lui, relève de la Cour des comptes. A mon avis, l’esprit de la loi restreint l’autonomie accordée par la Constituti­on aux instances. C’est dangereux, parce que cette loi est appelée à déterminer le contenu de toutes les lois portant sur les instances.

L’opinion considère que l’Instance vérité et dignité détient un pouvoir extraordin­aire qui dépasse celui du parlement. Cela a été prouvé à maintes occasions. Par contre-coup, au regard des appréhensi­ons exprimées, les instances constituti­onnelles devraient être contrôlées. Qu’en pensez-vous ? Sur le plan formel, l’Ivd n’est pas une instance constituti­onnelle, mais provisoire appelée à disparaîtr­e. Mais ceci reste valable pour toutes les cinq instances constituti­onnelles. La Haica n’a jamais été auditionné­e pour son rapport. Elle a présenté son premier rapport qui n’a pas été discuté par le parlement. A ce niveau, la défaillanc­e est avérée. Le contrôle est donc nécessaire. Mais un contrôle de la légalité par les différente­s juridictio­ns par le Tribunal administra­tif qui doit contrôler les actes de ces instances. Il faut aussi exercer un contrôle politique de la part du parlement. Sans que celui-ci ouvre la porte à une inféodatio­n des instances au pouvoir législatif. Si la loi dispose qu’en cas de nonapproba­tion du rapport financier par le parlement, tout le conseil peut être démis de ses fonctions, les membres de n’importe quelle instance vont tenter de plaire à la majorité qui gouverne et qui vote. Le parlement n’est pas une entité dans l’absolu, c’est un vote dans lequel la majorité décide. De fait, l’allégeance vis-à-vis de cette majorité serait cultivée. Le contrôle est donc nécessaire mais il faut qu’il soit bien dosé, assorti de conditions strictes. Les cas où le parlement peut démettre les membres du conseil d’une instance doivent être clairement précisés, mais « manque de neutralité flagrante » dans un texte de loi ne signifie rien.

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