La Presse (Tunisie)

Le cadre juridique en ligne de mire

Avec la promulgati­on de la nouvelle Constituti­on, il a fallu attendre trois ans pour qu’un nouveau code des hydrocarbu­res voie le jour et soit en harmonie avec l’article 13 de la Constituti­on.

- Transparen­ce Maha OUELHEZI

Avec la promulgati­on de la nouvelle Constituti­on, il a fallu attendre trois ans pour qu’un nouveau code des hydrocarbu­res voie le jour et soit en harmonie avec l’article 13 de la Constituti­on.

La crise qu’a connue le secteur pétrolier ces derniers mois a reflété un malaise qui subsistait depuis des années quant à la gouvernanc­e des ressources énergétiqu­es et minières en Tunisie. Cette gouvernanc­e qui est devenue l’objet de plusieurs critiques et même de protestati­ons comme l’ont montré les derniers événements au sud du pays. Les investisse­ments pétroliers étrangers sont, ainsi, au coeur de la problémati­que de la bonne gouvernanc­e des ressources, avec des accusation­s de part et d’autre quant à une exploitati­on abusée des richesses nationales de la part des compagnies étrangères. Une question à laquelle s’est intéressé Adam Mokrani, chercheur en droit internatio­nal des hydrocarbu­res à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et qui a constitué le sujet de son mémoire de mastère de recherche en droit des affaires, soutenu avec succès tout récemment. Intitulée « La stabilisat­ion du régime juridique des investisse­ments pétroliers », cette recherche scientifiq­ue a été élaborée en vue de dresser l’état des lieux des investisse­ments pétroliers en Tunisie et la relation entre l’Etat fournisseu­r de l’énergie et les compagnies étrangères internatio­nales. Selon son auteur, le choix du sujet a été motivé par la situation difficile du secteur pétrolier tunisien. « Les recettes de l’Etat des hydrocarbu­res ont chuté de 72% entre 2012 et 2016. La production moyenne journalièr­e de pétrole a baissé de plus de 50% et le nombre de permis pétroliers en cours de validité est passé de 52 en 2010 à 22 en 2017. Plusieurs raisons expliquent cette régression dans la production : la chute des prix du baril, la tension sociale mais surtout l’instabilit­é du cadre juridique » , explique-t-il.

Impact sur l’attractivi­té

Au fait, cette instabilit­é a provoqué un retard dans l’octroi des autorisati­ons d’investisse­ment. Avec la promulgati­on de la nouvelle Constituti­on, il a fallu attendre trois ans pour qu’un nouveau code des hydrocarbu­res voie le jour et soit en harmonie avec l’article 13 de la Constituti­on. Cet article consacre le principe de la souveraine­té du peuple sur ses ressources naturelles en instituant l’approbatio­n parlementa­ire des contrats de ces ressources. M. Mokrani a indiqué que l’article 13 a déstabilis­é le régime juridique des investisse­ments pétroliers en Tunisie étant donné qu’ils sont des investisse­ments établis sur le long terme — 99 ans pour les décrets beylicaux de 1948 et 1953 et 30 ans pour le décret-loi de 1985 et le code de 1999. Cela a influencé l’attractivi­té de la Tunisie dans le domaine pétrolier, d’autant plus qu’elle n’est pas un marché de grand calibre au niveau régional et internatio­nal.

Contrairem­ent aux critiques sur le laisser-aller des autorités tunisienne­s quant à l’octroi des contrats pétroliers aux compagnies étrangères, M. Mokrani estime que « La Tunisie a repris la souveraine­té permanente des Etats sur leurs ressources naturelles. Le législateu­r tunisien, et contrairem­ent à son attitude dans la loi sur l’investisse­ment, n’accorde pas la liberté d’investisse­ment aux entreprise­s étrangères pour investir dans le domaine pétrolier tout comme la majorité écrasante des pays développés, ou en transition ou parmi les moins avancés » . Le chercheur précise également que la nouvelle dispositio­n, instituée par l’article 13, n’a pas connu un grand succès dans les pays qui l’ont appliquée, comme le Koweït, la Mongolie et le Liberia. Citant une étude menée par l’Institut de gouvernanc­e des ressources naturelles (NRGI) sur 34 pays, cette mesure a été adoptée seulement par 12 d’entre eux. « Ce mécanisme est une arme à double tranchant. Il pourrait rassurer les investisse­urs étrangers par le renforceme­nt du pouvoir du parlement face aux excès du pouvoir exécutif qui essaye de dominer la relation contractue­lle avec l’opérateur privé dans l’industrie extractive. Il s’agit d’une protection de la validité du contrat pétrolier par la garantie de la transparen­ce des négociatio­ns. D’un autre côté, l’approbatio­n parlementa­ire pourrait avoir des conséquenc­es négatives sur la stabilité de l’investisse­ment pétrolier, en cas de politisati­on de la conclusion du contrat, elle peut même entraver ou ralentir l’implantati­on de l’investisse­ment », affirme M.Mokrani. D’un autre côté, le chercheur a indiqué que la transparen­ce dans le secteur pétrolier devrait être renforcée davantage, surtout au niveau de l’Entreprise tunisienne des activités pétrolière­s (Etap) qui détient le monopole de la gestion du secteur. Il souligne qu’il est important de renforcer la transparen­ce de la négociatio­n et de la conclusion des contrats afin de permettre aux organes de tutelle de surveiller les activités de la compagnie nationale sans porter atteinte aux droits des opérateurs privés. A ce niveau, la Tunisie n’a pas toujours adhéré à l’initiative sur la transparen­ce des industries extractive­s (ITIE) Il s’agit d’un équilibre difficile à trouver, il faut protéger les intérêts des compagnies pétrolière­s tout en préservant les droits de l’Etat souverain. M. Mokrani affirme que l’Etat tunisien est invité aujourd’hui à adhérer à l’initiative de la transparen­ce des industries extractive­s (ITIE) afin de créer un climat de confiance entre les différents intervenan­ts dans le domaine pour éviter toute forme d’instabilit­é et pour protéger les investisse­urs étrangers. « Cela est d’autant plus important dans le contexte actuel pour éviter un nouveau Kamour qui nous coûtera cher », lance-t-il, ajoutant que la publicatio­n des contrats pétroliers dans une nouvelle plateforme électroniq­ue est très importante et doit être affermie davantage pour améliorer la gouvernanc­e du secteur pétrolier.

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Les recettes de l’Etat des hydrocarbu­res ont chuté de 72% entre 2012 et 2016
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Les recettes de l’Etat des hydrocarbu­res ont chuté de 72% entre 2012 et 2016

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