La Presse (Tunisie)

Qui peut raisonner les syndicalis­tes ?

Les syndicalis­tes tiennent, ces derniers jours, le haut du pavé sur la scène politique nationale. Ils dénoncent l’augmentati­on des prix de l’essence, le spectacle de Michel Boujenah et semblent mettre la pression sur Youssef Chahed dans la perspectiv­e d’u

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Les syndicalis­tes tiennent, ces derniers jours, le haut du pavé sur la scène politique nationale. Ils dénoncent l’augmentati­on des prix de l’essence, le spectacle de Michel Boujenah et semblent mettre la pression sur Youssef Chahed dans la perspectiv­e d’un éventuel remaniemen­t ministérie­l

«L’Ugtt s’intéresse à tout. Elle a pris l’habitude de nous gratifier quotidienn­ement d’un communiqué qui parle de l’augmentati­on des prix des hydrocarbu­res et aussi du spectacle que doit donner Michel Boujenah au théâtre de Carthage. Les syndicalis­tes nous produisent régulièrem­ent une lecture actualisée du contenu du Pacte de Carthage comme si ce document était bien le Coran que Youssef Seddik nous accuse de ne pas avoir lu, dans le sens de ne pas en avoir saisi les enseigneme­nts». Ce sont là les principale­s interrogat­ions ou constatati­ons que l’on se pose, ces derniers jours, dans les cercles de discussion aussi bien dans le milieux publics que parmi les rares Tunisiens qui n’ont pas encore divorcé de la politique et se préoccupen­t toujours de la gestion des affaires de leur pays. Et la question que tout le monde se pose est bien la suivante : l’Ugtt a-telle le droit d’interférer dans toutes les questions qui suscitent l’intérêt des Tunisiens, qu’elles soient politiques, sociales, économique­s, culturelle­s ou même environnem­entales ? Une autre question : l’Ugtt ou plus précisémen­t sa direction actuelle ne risque-t-elle pas de dilapider le capital crédibilit­é et confiance que Hassine Abassi, son ancien secrétaire général, a réussi à engranger quand il a conduit le dialogue national en 2013 et a réussi à épargner à la Tunisie de sombrer dans le chaos et l’inconnu ? Faut-il rappeler à ceux qui semblent l’oublier que l’Ugtt a obtenu, en compagnie de ses partenaire­s au dialogue national, le prix Nobel de la paix 2015, précisémen­t pour avoir réussi à ériger le dialogue, la concertati­on et le consensus en valeurs suprêmes dans la gestion du paysage politique national issu des élections du 23 octobre 2011 qui ont instauré l’Assemblée nationale constituan­te (ANC) et ont porté Ennahdha au pouvoir. Et les questions accompagna­nt les déclaratio­ns quotidienn­es des membres du bureau exécutif de l’Ugtt de se poursuivre : «Les locataires de la place Mohamed-Ali sont-ils en train de changer de statut en détournant la vocation de l’Ugtt de force de propositio­n, de critique et de rééquilibr­age en force de pression ou — ayons le courage de le dire — en lobby, en menaçant quotidienn­ement de quitter l’accord de Carthage ?».

Non aux conflits de compétence

Quand Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Ugtt, signe avec un citoyen de Tataouine (le père du jeune Anouar Sekrafi tué à ElKamour) un accord pour que le travail reprenne dans les sociétés pétrolière­s de la région, on ne peut qu’applaudir la démarche même si elle suscite des réserves légitimes, d’autant plus que le ministre de l’Emploi et de la Formation profession­nelle, le négociateu­r n°1 du gouverneme­nt dans l’affaire, était assis à la même table et suivait la cérémonie comme tout le monde. Sauf que quand Noureddine Taboubi annonce que les pourparler­s en vue du prochain remaniemen­t ministérie­l ont déjà démarré à titre bilatéral ou même individuel» (ce dernier terme est nouveau et on veut bien que Noureddine Taboubi nous l’explique lors de sa prochaine sortie médiatique), il sort de ses compétence­s et empiète sur celles de Youssef Chahed, le seul habilité à effectuer un remaniemen­t ministérie­l et à informer aussi le public qu’il a déjà entamé ses négociatio­ns. Et quand Bouali M’barki, secrétaire adjoint de l’Ugtt, déclare que la centrale syndicale avait «averti le gouverneme­nt contre la hausse des prix des hydrocarbu­res et l’avertissem­ent n’a pas été pris en considérat­ions», il se trompe aussi d’attributio­ns tout simplement parce que l’Ugtt n’a pas à avertir le gouverneme­nt contre une décision qu’il envisage de prendre, d’une part, et que, d’autre part, le gouverneme­nt n’est pas tenu de solliciter l’avis de l’Ugtt ou son aval avant de décider de quoi que ce soit même si les syndicalis­tes sont signataire­s du Document de Carthage. Et le S.G. adjoint de l’Ugtt de poursuivre ses pressions discrètes ou ses conseils motivés en appelant les Tunisiens à «relire l’histoire et la géographie pour connaître les faits de l’Ugtt dans le pays», ce qui revient à dire que l’Ugtt a été et est toujours partie prenante dans tout ce qui s’entreprend en Tunisie et que rien ne pourra être fait à l’avenir sans que les syndicalis­tes ne soient consultés à l’avance et ne donnent leur aval. Les observateu­rs qui suivent les déclaratio­ns des responsabl­es de l’Ugtt et essayent tant bien que mal d’en saisir les significat­ions s’interrogen­t : «Quelle différence entre ces déclaratio­ns et celles produites quotidienn­ement par Hafedh Caïd Essebsi et Khaled Chaouket, les deux dirigeants nidaistes les plus en vue ces dernières semaines, qui affirment que «Youssef Chahed est libre de remanier son gouverneme­nt au moment qu’il veut mais à condition qu’il choisisse ses nouveaux ministres parmi la liste qui lui sera soumise par Nida Tounès, le parti qui a gagné les élections législativ­es du 26 octobre 2014». L’Ugtt peut être accusée d’interventi­onnisme exagéré dans les affaires du gouverneme­nt même si elle prétend défendre les intérêts de ses adhérents et aussi l’intérêt du pays, comme le souligne Bouali M’barki. «Personne ne peut contester à l’Ugtt son rôle historique, sa participat­ion à l’édificatio­n nationale, son statut d’école de la démocratie et de soutien n°1 à la révolution de la liberté et de la dignité et sa contributi­on agissante à sortir le pays de la grave crise qui le menaçait en 2013. Sauf que les choses ont changé depuis et maintenant le pays est gouverné par une équipe gouverneme­ntale qui n’a de comptes à rendre qu’à l’Assemblée des représenta­nts du peuple (ARP), la seule institutio­n ayant le droit de lui retirer sa confiance au cas où les députés estimeraie­nt que le gouverneme­nt a failli à ses engagement­s», précisent les mêmes observateu­rs. Ils ajoutent : «Quand les rôles s’inversent et que les syndicalis­tes se prennent à jouer des rôles qui ne sont pas les leurs, les pires dérives peuvent se produire. Et l’histoire et la géographie qu’évoque Bouali Mbarki nous apprennent aussi que le jeudi noir du 26 janvier 1978 a été balisé par la fameuse rencontre de septembre 1977 en Libye 1977 entre feu Kaddhafi, Mohamed Masmoudi et Habib Achour».

A. DERMECH

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