Les agglomérations urbaines courent-elles vers l’apocalypse ?
Organisé par l’Université de Sfax en collaboration avec l’Association tunisienne de climatologie, le XXXe colloque de l’AIC s’est tenu à Sfax sur le thème «Climat, ville et environnement»
Se tenant chaque année en alternance entre les pays francophones, le colloque réunissait une centaine de climatologues représentant 17 pays d’Afrique, Europe, Asie et Amérique, dans le but «de mettre en commun des connaissances et des recherches, de permettre l’échange d’informations entre spécialistes sur le climat d’aujourd’hui et de demain. On y communique sur les différentes avancées qui se font en termes de climatologie sur différents espaces de la terre» , ont relevé les organisateurs à Sfax, indiquant qu’il s’agit du plus grand rassemblement des climatologues du monde francophone. Latifa Hnia, climatologue, professeur émérite à l’Université de Tunis et ex-présidente de l’Association tunisienne de climatologie, a mis en avant l’intérêt double de cette rencontre internationale de spécialistes du domaine: «L’intérêt majeur pour notre pays est que ce colloque apporte l’expérience des autres pays et leur regard sur l’environnement et plus particulièrement le climat et l’environnement urbain, dans les villes, ainsi que la gestion des risques de toutes sortes auxquels s’exposent les villes». Abondant dans ce sens, Sami Charfi, professeur de climatologie à l’Université de Sfax, a, de son côté, indiqué que «le présent colloque traite de thèmes relatifs à l’îlot de chaleur urbain, aux paroxysmes thermiques, en l’occurrence les vagues de chaleur et les vagues de froid. Il est également question du problème des inondations parce que la ville est devenue aujourd’hui de plus en plus vulnérable et les aménagements qui sont parfois mal étudiés ne tiennent pas compte du cadre naturel. Des solutions et autres recommandations sont présentées pour minimiser les conséquences de ces phénomènes. Pour ce qui est de l’îlot de chaleur urbain, il est préconisé l’adaptation des modes architecturaux à notre climat ainsi que celle de notre mode de vie, la promotion du transport en commun, la réduction du recours à la voiture particulière, etc. On doit également adopter un style architectural plus adapté à notre climat. On doit aussi, surtout pour éviter les inondations, bien étudier le cadre naturel, se garder de construire dans les dépressions et les vallées. Bref, on doit éviter l’intervention non étudiée dans le cadre naturel» .
L’îlot urbain, un phénomène à haut risque
Le colloque de Sfax sur la climatologie a abordé la question de l’îlot de chaleur urbain dans le monde. Le phénomène, de plus en plus inquiétant, est défini par les spécialistes comme étant «un effet de dôme thermique, créant une sorte de microclimat urbain où les températures sont significative- ment plus élevées dans les centres urbains que dans les campagnes environnantes, c’est-à-dire que plus on s’approche du centre de la ville, plus il est dense et haut, et plus le thermomètre grimpe» . Dans une vision apocalyptique, on parle d’«une vague de chaleur qui transforme une ville en four dans lequel les habitants suffoquent, souffrent et même meurent» . Scientifiquement parlant, l’îlot de chaleur urbain résulte d’un phénomène physique simple. Durant la journée, les villes emmagasinent la chaleur provenant du soleil et de la circulation sur le béton et le macadam, et elles la libèrent la nuit. Avec une vague de chaleur débute un cycle infernal. La nuit n’est pas assez longue pour que toute la chaleur se dissipe, donc à l’aube, la nouvelle journée est déjà chaude... et ne peut que se réchauffer davantage, notent les spécialistes. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé la catastrophe provoquée par la canicule particulièrement meurtrière qui a sévi en Europe, en 2003, se soldant par un bilan lourd en vies humaines, soit plus de 70.000 morts, dont 13.000 pour le seul Paris et 20.000 à l’échelle de la France. Parmi les solutions préconisées, les urbanistes, chercheurs et climatologues recommandent la plantation d’arbres et d’arbustes, sur les toits des immeubles, la plantation d’arbres dans les artères de la ville selon des normes précises, le badigeonnage des murs avec une peinture réfléchissante, la circulation des eaux et une nouvelle forme d’architecture et des tours à vent «qui capturent le vent au-dessus des toits de la ville et le poussent vers le bas, jusqu’au niveau de la rue» .
L’îlot de chaleur urbain en Tunisie
En Tunisie, des études menées concernant l’îlot de chaleur urbain à Tunis et à Sfax ont abouti au même résultat concernant l’écart de température entre les deux agglomérations et les ceintures rurales qui les entourent. Cet écart se situe entre l’avenue Habib-Bourguiba, à la capitale, et Sidi Thabet par exemple autour de 3° à 5°. Heureusement, l’on semblerait encore assez loin de la cote d’alerte, dans nos agglomérations urbaines, d’autant plus que, d’une part, «en Tunisie, nous sommes naturellement plus adaptés à la chaleur. D’autre part, les risques sont supportés grâce à l’une des formes d’adaptation à la chaleur, chez les Méditerranéens que nous sommes, en l’occurrence la sieste, en plus du port de la couleur blanche. Et puis, les personnes âgées, frange la plus vulnérable aux pics de chaleur, sont généralement protégées par leur milieu familial» , indique la professeure Latifa Hnia.
Manque de coordination
En Tunisie, les professeurs Latifa Hnia et Sami Charfi affirment qu’on est très avancés au niveau de la recherche dans le domaine de la climatologie. Le pays compte, en effet, une équipe étoffée de climatologues et d’éminents chercheurs, auteurs de publications de haute teneur scientifique. Mais ce qui manque, c’est la coordination et la communication de l’information : «Nos décideurs ne semblent pas au courant de ce qui est réalisé au niveau des résultats de la recherche scientifique, académique universitaire. On est très loin par rapport à d’autres pays. Ce sont généralement les chercheurs qui dépensent de leur poche pour publier un article, se déplacer, etc. Nous manquons de vis-à-vis pour l’application des résultats de nos recherches».