Il faut que la confiance règne
Il est temps de revisiter les relations magistrats-journalistes sur la base de la confiance
Le diagnostic fait du système judiciaire post-révolution avait révélé autant de dysfonctionnements institutionnels, mais aussi un manque flagrant de communication. Et une certaine réforme globale et exhaustive telle qu’a été engagée, il y a maintenant presque cinq ans paraît, alors, incontournable, afin de rendre justice aux justiciables. Pour ce faire, l’on a commencé par mettre en place des tribunaux dits « pilotes », en guise d’initiative lancée, au départ, à Tunis et à Zaghouan. Tel un noyau dur, la chaîne en compte, maintenant, une dizaine répartie sur nombre de régions du pays, où tant des structures juridictionnelles (Cours de cassation, tribunaux cantonaux et de première instance) font, désormais, référence. Et ce n’est pas tout. Le département de la Justice, sous M. Nadhir Ben Ammou, du temps de la troïka, s’est laissé aller encore plus loin, dans les traces du Conseil de l’Europe (CE). En vertu d’une convention de coopération bilatérale, la Tunisie a fait appel à des experts de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), une instance déjà créée en 2002, oeuvrant sous la tutelle du CE. Dans le cadre de son projet d’appui visant « le renforcement de la réforme démocratique au sud de la Méditerranée », la Cepej a tenu à mener à bien sa mission, sous nos cieux. La formation de nos magistrats en est le fer de lance. Un complément du savoir pour les faire gagner en compétence et les sensibiliser à l’indépendance d’un pouvoir judiciaire qui a du mal à sortir des sentiers battus. Pas plus tard qu’avant-hier, une nouvelle session de formation, focalisée en partie sur la communication judiciaire, vient d’être organisée à leur profit, à Monastir. Dans le ton de la démocratisation de ses prestations, le pouvoir judiciaire a, plus que jamais, besoin de se faire une virginité nouvelle, loin de tout corporatisme et discrimination. C’est que l’ouverture sur les médias n’est plus un choix, la communication judiciaire demeure une obligation.
L’information en vedette
Comment les tribunaux peuventils communiquer efficacement avec les médias et le public, y compris dans des situations de crise ?, s’interroge, d’emblée, M. François Paychère, magistrat à la Cour des comptes du canton de Genève et président du groupe de travail Cepej sur la qualité de la justice. Son intervention a donné de nouvelles pistes de réflexion sur la manière de rétablir la relation juge-journaliste. N’étant pas toujours au beau fixe, cette relation communicationnelle devra être revisitée sur la base de confiance mutuelle, de neutralité et de transparence requise. « Si vous ne faites rien, l’information vous précédera, à coup sûr, elle vous contraindra à réagir», lance-t-il, en s’adressant aux robes noires, dont la majorité sont des porte-parole auprès des tribunaux. Leur nombre totalise, actuellement, quelque vingt-huit délégués chargés de la communication. Mais, communiquer, c’est un métier, dit-il, qui va au-delà de l’information. « La communication judiciaire doit être multiforme et permanente, au moment de crise comme en temps de paix», définit-il. Pour lui, être porte-parole, c’est aussi être proche des faits, proactif, crédible et transparent.
Communiquer, ça s’apprend
Certes, il n’y a pas un modèletype, mais, il faut, de son avis, développer une pratique originale, une manière d’agir. Sauf qu’une communication « réussie » suppose que certaines questions soient posées en amont : quelle cible viser ?, le message qu’on veut passer ? Et pour quel média ? « En fait, pas de bonne communication en cas de crise sans bonne communication antérieure», révèle-t-il encore. Il faut que de bons contacts réguliers avec la presse soient maintenus. Somme toute, « la justice n’est pas un monde renfermé sur lui-même. Elle doit se faire connaître» , résume en conclusion l’homme du prétoire. Toutefois, « magistrats et journalistes, ils n’ont pas la même approche, d’autant que le temps judiciaire n’est pas celui médiatique », avance le membre du conseil consultatif des procureurs européens, M. Cédric Visart de Bocarmé. Donner au public une information avérée, fiable, vérifiable et sans discrimination est l’un des principes fondamentaux du CE en matière de communication judiciaire, rappelle-t-il, plaidant en faveur de la liberté de la presse. Sans pour autant perdre de vue l’intégrité des personnes jugées et la protection des données privées. Il partage le même avis que M. Paychère, « cela suppose une ouverture à l’égard des médias ». En tout cas, l’information qui leur est fournie doit être parfaitement rendue et bien perçue. Il affirme que, « communiquer, ça s’apprend». Et là, il y a intérêt d’asseoir une vraie politique de communication. Le président de la Cour de cassation de Paris, M. Jean-Paul Jean, vient d’illustrer, à ce propos, l’exemple de la justice française, où les délégués à la communication « ont appris à parler face à la caméra, délivrer un message aux médias et savoir rédiger un communiqué de presse», évoque-t-il. En revanche, le modèle français ne relève pas aussi de l’idéal. « Presse-justice, les rapports ne sont pas toujours au beau fixe », voilà le point de vue du journaliste Franck Johannes (Le Monde). Ces relations sont caractérisées par la méfiance. Les réserves au niveau de l’information judiciaire sont à n’en plus finir. Et des secrets de trop qui bloquent tout. « C’est bien que le magistrat communique, mais le journaliste a besoin de l’information», tempère-t-il, espérant voir les deux corps s’entraider pour l’intérêt commun. Dans le cas tunisien, on ne manque pas de difficultés de communication à plusieurs niveaux. Que dire en matière de justice.
Droit de réserve, dit-on
M. Sofiène Selliti, magistrat, porteparole au tribunal de première instance de Tunis, semble, lui aussi, n’être pas assez satisfait de ce que diffusent parfois certains médias sur les affaires de terrorisme ou de corruption. L’accès à l’information, déjà en vigueur, se heurte au droit de réserve du pouvoir judiciaire. L’équation semble difficile. « On ne peut pas parler de tout», répond-il. Et M. Selliti de faire état de l’affaire du conteneur belge saisi l’année dernière à Nabeul, l’attaque terroriste survenue à l’hôtel «Impérial» à Sousse, et bien d’autres cas, où l’information judiciaire a été mal détournée ou faussement interprétée. Dans les rouages de l’institution judiciaire, rien ne va plus. «De même, entre dispositif sécuritaire et département de justice, le courant ne passe pas comme il faut », déplore-t-il. Sous nos cieux, la communication pose encore problème. Tel en France, M. Selliti propose d’élaborer un projet de loi criminalisant le dévoilement des secrets d’enquête. N’empêche, conclut-il, la communication judiciaire demeure obligatoire, à même de tirer les choses au clair. Cette idée n’a même pas germé dans la tête de la magistrate Kaouther Missaoui du tribunal de Sidi Bouzid. Pour elle, parler aux médias n’est pas du ressort du porte-parole. C’est bizarre ! C’est pourquoi une telle formation mérite d’être suivie d’effet.