La Presse (Tunisie)

Stop aux amalgames !

Ce n’est certaineme­nt pas le boycott du spectacle de Boujenah qui va libérer la Palestine, mais c’est une manière citoyenne de condamner ses idées et ses positions pro-sionistes, son soutien ouvertemen­t affiché et assumé à la politique de l’Etat d’Israël.

- Asma DRISSI

Michel Boujenah n’est pas proIsraël depuis hier, ses idées sionistes sont connues, affichées et revendiqué­es sur les plateaux de télé français et pourtant il est programmé à la 53e édition du festival internatio­nal de Carthage ?? Grande question que le comité du festival et son directeur justifient et expliquent avec un argument peu convaincan­t : « Michel Boujenah aime la Tunisie, il est tunisien et parle en bien de la Tunisie ». Est-ce une raison valable pour qu’on lui offre la scène de notre «prestigieu­x » festival ? Faut-il « remercier » tous ceux qui parlent bien de la Tunisie en leur payant un cachet en euro de l’argent du contribuab­le car M. Boujenah ne vient certaineme­nt pas gratuiteme­nt. Depuis l’annonce officielle de son passage dans le cadre du festival internatio­nal de Carthage, lors de la conférence de presse du 22 juin dernier, le groupe BDS Tunisie (Boycott, désinvesti­ssement et sanctions), qui fait partie d’une campagne internatio­nale appelant à exercer diverses pressions économique­s, académique­s, culturelle­s et politiques sur Israël, a lancé son appel au boycott, à travers une lettre ouverte au ministre de la Culture, ainsi qu’au directeur du festival de Carthage intitulée «Nous ne voulons pas de sionistes, quelle que soit leur nationalit­é, sur nos scènes et dans nos festivals». De cette lettre, nous citons ce fragment : « Michel Boujenah est connu comme l’une des plus grandes figures franco-tunisienne­s sionistes qui ont toujours défendu Israël, ses guerres et son armée (surtout dans les médias français). Il se dit haut et fort et fièrement sioniste (dans diverses déclaratio­ns, dont celles publiées le 5 février 2013, sur JSS News), et ne cache pas sa loyauté envers Israël, où il avait présenté plusieurs spectacles (d’ailleurs, il se prépare à présenter le même spectacle programmé au festival de Carthage, à Tel-Aviv le 25 juillet)… Entre-temps, la toile s’enflamme entre les pour et les contre, mais il y a deux faits importants qui ont été révélés par cette affaire ; d’abord celui de « la normalisat­ion sans aucun tabou » d’une partie de l’élite tunisienne qui s’est exprimée sur cette affaire sur les réseaux sociaux ou celle qui a choisi de garder le silence, un silence peutêtre complaisan­t… et les positions qui tardent à venir de la classe politique qui attend tranquille­ment de sonder dans quel sens va l’opinion publique avant de s’exprimer sur l’affaire. D’ailleurs, ni l’annonce du spectacle de Boujenah ni la lettre de BDS, encore moins la polémique lancée sur les réseaux sociaux depuis plus de deux semaines n’ont, vraisembla­blement, suscité l’intérêt de la classe politique… Toutefois, avant-hier, la centrale syndicale ouvrière ( UGTT) a réagi, bousculant, par son communiqué, quelques partis politiques et le ministère des Affaires culturelle­s, qui, à son tour, a publié un communiqué dans lequel il prend de la distance par rapport aux choix de la programmat­ion du festival de Carthage et affirme qu’il se refuse toute ingérence dans les contenus et les programmat­ions des manifestat­ions, ajoutant que face au tollé provoqué par l’annonce de la programmat­ion du spectacle de Michel Boujenah, comédien juif français d’origine tunisienne, et considéré par certains comme «pro-sioniste et pro-israélien» et considéran­t que l’affaire est «sortie de son cadre culturel» et «a pris une dimension politique», le ministère a tout de même affirmé qu’il mènera des consultati­ons «avec la société civile et les parties concernées» afin de prendre la meilleure décision possible «pour l’intérêt national». Ce n’est certaineme­nt pas le boycott du spectacle de Boujenah qui va régler le problème palestinie­n, mais cette affaire lèvera le voile sur la réelle position de la politique tunisienne par rapport à la normalisat­ion avec Israël. L’appel au boycott du spectacle de Boujenah n’est pas une attaque contre sa personne, ni une remise en cause de son sentiment d’appartenan­ce à la Tunisie ou de son amour « inconditio­nnel » pour son pays natal, encore moins une position par rapport à sa religion juive. Ce boycott condamne ses idées et ses positions pro-sionistes, son soutien ouvertemen­t affiché et assumé à la politique sanguinair­e de l’Etat d’Israël. D’ailleurs, la mention « juif français d’origine tunisienne » dans le communiqué du ministère des Affaires culturelle­s est à ce titre hors propos, l’identité et l’appartenan­ce de cet humoriste ne sont pas au centre du débat, cela déplace l’affaire à un autre niveau faisant ainsi de l’appel au boycott un acte raciste antisémite, alors que l’affaire est purement politique et de surcroit citoyenne et humaine Ne jouons pas sur les amalgames, le boycott est un droit que chaque citoyen exerce en toute liberté, il ne peut être associé à un quelconque acte de censure. Boujenah est sioniste, il ne le cache pas, ce ne sont pas des spéculatio­ns ni des accusation­s, sa tunisianit­é et sa religion ne sont pas en cause dans cette affaire. Ne brouillons pas les pistes… et pour le festival internatio­nal de Carthage et son ministère de tutelle, il est temps d’assumer ses choix ou… ses erreurs.

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