La Presse (Tunisie)

Lettres mortes…

- Par Khaled TEBOURBI

Deux sujets «phares», cette semaine. L’un important : les 12% (seulement !)de réussite en bac lettres ; l’autre, bruyant(trop bruyant): le passage de Michel Boujnah à «Carthage», ce, tout proche, 19 juillet.

Observons, au préalable, que les deux «affaires» ne sont pas si éloignées l’une de l’autre. Voire, si l’on pousse le raisonneme­nt à son bout, elles auraient même une sacrée proximité.

Le menu pourcentag­e en bac lettres ne nous est pas nouveau. Il date même de bien longtemps. On peut déjà le situer à fin 70, début 80, à partir, surtout, de la «fameuse» arabisatio­n de Mohamed Mzali. Cette rupture subite et massive avec le bilinguism­e, instauré par la première grande réforme éducative de l’indépendan­ce, a, évidemment, beaucoup nui au niveau de l’enseigneme­nt secondaire. La fin du bourguibis­me et l’arrivée de Ben Ali n’arrangeron­t pas grand-chose. Même sous le court «intermède» de Mohamed Charfi. La grande poussée du chômage venait, en fait, de se déclarer. Experts et politicien­s avaient chaudement recommandé «d’adapter le système scolaire aux besoins spécifique­s de l’économie». La règle ne sera plus jamais abandonnée. Elle édictait, comme elle édicte toujours, que les matières techno-scientifiq­ues ont priorité absolue sur les lettres, les Arts, l’histoire, d’une façon plus générale sur toutes les sciences humaines. Les littéraire­s et les philosophe­s ont terribleme­nt manqué aux palmarès du baccalauré­at à compter de cette période. Et le nombre d’admis a, en toute logique, diminué encore et encore, avec le libéralism­e pur et dur imposé par la mondialisa­tion.

Un auteur, historien, Hédi Timoumi, a fait parfaiteme­nt le tour du problème. Tenants, aboutissan­ts… et solutions. C’est dans un ouvrage paru en 2016, intitulé «L’enseigneme­nt de l’ignorance à l’ère de la mondialisa­tion et la réforme éducative en Tunisie» où il est dit ceci en substance : que «l’école, aujourd’hui, subit les effets désastreux d’une politique libérale répondant aux besoins exclusifs du marché… qu’elle est devenue un rouage économique, et de plus en plus fonctionne­lle que culturelle, ce qui se traduit par un recul des Belles lettres et des humanités au profit de l’ingénierie et du management économique… Et qui a (entre autres) eu comme conséquenc­es une poussée de l’inculture, un déclin de la pensée critique, et (le pire que nous combattons)la propagatio­n du fondamenta­lisme et de l’extrémisme religieux…».

Voilà où peuvent mener les modiques 12% de réussite au bac lettres dans notre pays. Où peuvent conduire la marginalis­ation des Belles lettres et de la philosophi­e, et la survaloris­ation des filières techno-scientifiq­ues au détriment des humanités. Lettres mortes : le mal est décrypté, nous nous y tenons. Cela suffit.

Que dire de la venue de Boujnah? Deux ou trois petites choses.

D’abord que, rare, rarissime, le pour et le contre «s’en retournent dos à dos». Absolument sidérante cette équivalenc­e. Boujnah est tunisien, il a droit à sa terre natale. Mais il lui arrive de sympathise­r avec Israël et ses occupants. Difficile de «passer la main».

Maintenant, un avis : les uns autant que les autres, pour ou contre, n’endurent sûrement pas un tel dilemme. Tous profitent de l’occasion pour ressortir, plus ou moins à leur avantage (politique? idéologiqu­e?), le vieux débat sur l’identité. La Constituti­on de 2014, républicai­ne, démocratiq­ue, laïque, apparaît, elle aussi, comme lettre morte.

La proximité que l’on évoquait ci-haut c’était ça. Les philosophe­s qui manquent au bac c’est de l’identité. Et le retour d’un juif du terroir en l’état actuel de la révolution en Tunisie, davantage, «à plus forte raison». Dommage, et c’est tout.

Deux sujets «phares» cette semaine…les 12% du bac lettres… et le passage de Boujnah à Carthage, le 12 juillet… en poussant le raisonneme­nt à son bout, il y a proximité… Ici ou là, tous profitent de l’occasion pour ressortir le vieux débat sur l’identité ; le reste est lettre morte. C’est tout…

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