La Presse (Tunisie)

Salarié millionnai­re : comment ?

- Par Abdelhamid GMATI

Pour une fois, un haut responsabl­e de l’Etat met le doigt sur la plaie. On s’est tous étonnés, un jour ou l’autre, à propos de villas à deux étages, d’appartemen­ts de haut standing ou de voitures luxueuses appartenan­t à des salariés, fonctionna­ires ou employés d’institutio­ns étatiques. Et on s’est interrogés : comment ont-ils fait pour acquérir de telles propriétés valant, au bas mot, 300 ou 400.000 dinars, alors qu’avec un salaire, relativeme­nt élevé de 1.200 ou 1.500 dinars, un père de famille peine à boucler ses fins de mois ? On s’est dit qu’ils ont bénéficié d’un héritage ou qu’ils ont d’autres activités économique­s lucratives. C’est peut-être le cas pour quelques-uns mais pas pour tous. Et ils sont nombreux.

Le chef du gouverneme­nt, durant son interventi­on au Parlement, a été direct et clair: « Il n’est plus raisonnabl­e qu’un salarié dont la rémunérati­on n’excède pas les 1.000 dinars par mois s’avère propriétai­re de biens fonciers d’une valeur de plusieurs millions de dinars, sans que ces biens proviennen­t d’un héritage ou de rendement d’activités économique­s ». Et il précise que « cet enrichisse­ment illicite doit être arrêté. Plus jamais ça. Chacun doit justifier de ses revenus ». Oui mais comment un salarié devient-il millionnai­re ? Poser la question, c’est y répondre dans ce contexte de guerre contre la corruption. Que peut fournir un salarié en contrepart­ie d’un pot-de-vin élevé ? Bien sûr un service. Mais un service difficile, voire impossible, à obtenir par les voies normales. Il s’agit donc de passe-droit, d’octroi de privilèges, de contournem­ent de la loi et des règlements. Et c’est là la source du mal. Il y a en Tunisie trop de lois restrictiv­es, d’autorisati­ons, de documents administra­tifs pour n’importe quelle opération d’ordre personnel, administra­tif ou économique. Ceux qui veulent monter une entreprise, aussi modeste soitelles doivent s’adonner à un véritable parcours du combattant à la recherche des autorisati­ons adéquates. Une jeune dame, voulant créer une société de services (publicité) a dû passer par la mairie, la délégation, le gouvernora­t puis deux ministères. Le tout lui a pris 8 mois et d’importants frais. Fin 2016, on apprenait que 7.548 projets industriel­s déclarés, totalisant 236 mille emplois, n’ont pas été réalisés entre 2005 et 2015, à cause de la complexité des procédures administra­tives. D’autres ont choisi le chemin le plus court : trouver quelqu’un qui connaît quelqu’un qui occupe un poste de décision. Moyennant des dessous de table, ils obtiennent leur autorisati­on (ou leur patente) en moins d’un mois et sans tracas. Cette situation provient de cette multitude de lois et autres règlements datant de la dictature qui voulait tout contrôler même les démarches individuel­les les plus simples. C’est que des services censés être gratuits et garantis par la loi ne sont pas accessible­s de façon équitable. Il faut toujours « montrer patte blanche ».

Un exemple, parmi tant d’autres : l’autorisati­on administra­tive pour la vente de boissons alcoolisée­s qui n’obéit à aucune légalité, le commerce de l’alcool n’est pas interdit (voir la multitude de supermarch­és, d’hôtels, de bars, de restaurant­s qui servent de l’alcool) et ouvre la porte à toute sorte de corruption. L’affaire impliquant Samir El Ouafi en est une illustrati­on. De plus, débouche sur des débits d’alcool clandestin­s et encourage la contreband­e.

Youssef Chahed semble conscient du problème, d’où sa déterminat­ion à procéder à des réformes de l’administra­tion. Soit. Cela veut-il dire la disparitio­n de toutes ces lois obsolètes et ces autorisati­ons innombrabl­es, inutiles et nocives ?

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