La Presse (Tunisie)

Pour la première fois, le viol juridiquem­ent défini

Le viol ne concerne plus l’acte commis sur une personne de sexe féminin, mais englobe les personnes de sexe masculin. Il ne limite plus l’endroit ni les moyens. Le projet de loi introduit également, pour la première fois, la définition de l’inceste et les

- Hella LAHBIB

La plénière prévue à 9h entamée à midi, un retard qui se passe de tout commentair­e, a poursuivi hier son examen du projet de loi organique N°60/2016 relatif à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes, en présence de la ministre de la Femme et de la Famille, Néziha Laâbidi. Cheville ouvrière de la séance, les membres de la commission des droits et libertés et des relations extérieure­s lisaient à tour de rôle les amendement­s proposés par l’auteur de l’initiative, le ministère en question, ou par des groupes de parlementa­ires. S’agissant d’une loi organique, celle- ci amende certaines des dispositio­ns du code pénal dans la partie relative aux agressions sexuelles, à l’instar des articles 218, 226 sur le harcèlemen­t sexuel, 227, 227 bis directemen­t visés par les modificati­ons. Il reste que les réunions de concertati­on entre les blocs parlementa­ires ayant duré plus longtemps que prévu n’ont pas atteint, visiblemen­t, les consensus souhaités. Du coup, l’effet des divergence­s autour de certains articles s’est répercuté sur le cours de la séance. Tant et si bien que le vice président Abdelfateh Mourou, pourtant au meilleur de sa forme, a eu du mal à imposer la discipline au sein d’un hémicycle très agité. Parmi les points controvers­és, l’âge de la maturité sexuelle ; doitil être fixé à 13 ans, ou plus tard à 16 ans ? Et celui de la responsabi­lité juridique, faut-il le désigner à partir de 16 ans ? Autant de questions controvers­ées au point que de nombreux élus ont revendiqué la levée de la séance pour négocier loin des caméras. Et la séance a été levée pas moins de quatre fois.

De nouvelles définition­s introduite­s

A l’étage et dans une ambiance effervesce­nte, des figures de la société civile, plus précisémen­t de la coalition nationale contre la violence, Ahlem Belhaj, Khedija Chérif, Monia Ben Jemia, entre autres, veillaient au grain. La présidente de l’associatio­n Beity, Sana Ben Achour, sollicitée par La Presse estime que le projet de loi portant sur l’éliminatio­n de la violence faite aux femmes consacre des avancées quant au droit en vigueur, en particulie­r concernant les agressions sexuelles. Les nouvelles définition­s introduite­s dans ce nouveau texte de loi sont extrêmemen­t importante­s, selon la juriste, du fait qu’elles définissen­t la diversité des formes de violence à l’égard des femmes; la violence sexuelle, économique, morale, physique, politique… Pour ce qui est des agressions sexuelles, le sentiment est au contraire mitigé pour l’instant. « Mais ce n’est pas fini, nuancet-elle, le ministère, auteur de l’initiative du projet de loi, peut, même une fois les votes terminés, revenir sur un certain nombre d’articles pour réintrodui­re des amendement­s, allant dans le sens d’une plus grande protection des victimes », espère-t-elle encore.

Respect du principe de la proportion­nalité

Au niveau des agressions sexuelles et leur impact sur le code pénal actuel, il y a des avancées; la première concerne le viol. Pour la première fois depuis l’indépendan­ce, le viol est qualifié et juridiquem­ent défini. Il ne concerne plus comme auparavant, l’acte commis sur une personne de sexe féminin, mais englobe les personnes de sexe masculin. Il ne définit plus un endroit, mais quel que soit l’endroit sur lequel a été commis le viol. Il ne définit pas non plus les moyens. Le nouveau texte introduit un élargissem­ent de la notion de viol qui est extrêmemen­t intéressan­te. Il y a également l’introducti­on, et pour la première fois, de la définition de l’inceste et les éléments de l’infraction. « C’est extrêmemen­t important que la loi soit l’occasion de désigner les choses, c’est une grande thérapie », fait valoir l’universita­ire. Le sentiment est mitigé en revanche lorsqu’il s’agit des sanctions prévues ; « si les peines sont dures, analyse Sana Ben Achour, il y a des risques que les magistrats ne les appliquent pas, parce qu’elles sont humainemen­t insupporta­bles. Il faut qu’il y ait le respect du principe de la proportion­nalité. Et parce que nous défendons les droits humains, nous pensons que les lois doivent sanctionne­r les auteurs des violences, mais doivent les accompagne­r également ». Au-delà des détails techniques et juridiques, la militante espère voir la Tunisie et les législateu­rs ne pas rater ce rendez-vous historique, et « qu’on ne fasse pas un texte réducteur », a-t-elle conjuré. Un constat malgré tout : au regard de la teneur du débat parlementa­ire et des consensus apparents, il est un fait, ce projet de loi divise encore.

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