La Presse (Tunisie)

Un flagrant délit de culture

La programmat­ion du festival d’Ezzahra marque un choix délibéré qui mise sur le théâtre et la musique alternativ­e…un choix audacieux et à contre-courant.

- Asma DRISSI

Depuis vendredi dernier, le festival d’été d’Ezzahra anime la ville, crée une dynamique et implique et jeunes de cette ville de la banlieue sud de la capitale, et un choix en grande partie artistique et culturel s’est imposé pour un festival vieux de 40 ans. 40 ans c’est l’âge de la raison, le temps où l’on tranche, que la personnali­té s’accomplit et que les objectifs se précisent. Le choix fait par le comité du festival d’Ezzahra n’est pas simple, il est même risqué car au temps où la mouvance des rendez-vous estivaux optent pour l’animation, les spectacles à guichets fermés, dans cette ville jadis balnéaire, c’est plutôt la culture et la qualité qui priment avec quelques écarts près. Vendredi dernier, c’était l’ouverture et c’est devant un public conséquent que le compositeu­r Mohamed Ali Kamouna a offert, avec son orchestre, un voyage musical sur les traces de son projet «parfums», un work in progress qu’il explore depuis des mois à la découverte de chant du terroir. Et c’est sur la scène du théâtre de plein air d’Ezzahra qu’il a proposé à un public attentif et intéressé quelques escales de ce voyage musical qu’il ne cesse de poursuivre. Du Kef à Tataouine, en passant par Mahdia et Sousse, Mohamed Ali Kamoun prospecte et crée. Il part des moutures existantes pour en faire une version qui lui est propre. Son âme de jazzman est aventureus­e et le mène sur des pistes aussi délirantes qu’improbable­s. Son piano-clavier se confond avec la gasba et la magie opère. Un travail à suivre de près, une oeuvre jamais finie qui offre encore et toujours de nouvelles perspectiv­es de création et de découverte­s. L’homme de théâtre et directeur de cette 40e édition, Hatem Derbel, ne cache pas son penchant pour le 4e art. Une passion et une vocation qu’il tend à partager avec le public d’Ezzahra; d’ailleurs le programme de cette première semaine s’est poursuivi avec le meilleur du cru de la création théâtrale. « 30 ans déjà », la toute nouvelle création de Taoufik Jebali, a fait escale à Ezzhara, une Célébratio­n théâtrale des 30 saisons artistique­s de la fondation de l’espace d’art et de création : El Teatro— portée par plus d’une centaine d’artistes passionnés d’El Teatro Studio — dans une écriture visuelle, où s’entremêlen­t l’ancien et le nouveau afin de réaliser de beaux moments de plaisir et d’enchanteme­nt, en musique, danse, théâtre, chant... Le lendemain c’est « Le radeau » de Syrine Gannoun et Majdi Abou Matar, production du théâtre El Hamra, qui débarque sur cette même scène. « Le radeau » est le projet dont Ezzeddine Gannoun a rêvé avant son départ. Inspiré par les histoires des immigrés clandestin­s, il avait une vision artistique de cette oeuvre qui retracera le parcours de souffrance, traversé par ces immigrés. Ces êtres qui, tous les jours, fuient la mort vers la mort. Des réfugiés venus de Tunisie et de pays arabes et africains, séparés par les frontières, unis par la souffrance sur une petite embarcatio­n… Du radeau on passe à « Hourya », le spectacle musico-théâtral de Leila Toubel. Un nouveau plaidoyer pour la culture de la vie contre celle de la mort. Une performanc­e exceptionn­elle de cette femme-comédienne qui nait, vit et meurt à chacune de ses représenta­tions et attire l’admiration de tous. Les rendez-vous du 4e art se poursuivro­nt tout au long de ces trois semaines avec « Rai Uno City» de Ali Yahyaoui et deux pièces pour jeune public «Les cygnes » de Hatem Maroub et «Le petit prince » de Mohamed Ali Galai. Côté musique c’est aussi un autre défi que voudrait relever le festival d’Ezzahra, loin des sentiers battus et du diktat du star system, on mise sur de nouvelles propositio­ns musicales et on présente comme relais pour certains projets qui ont brillé lors des dernières journées musicales de Carthage tels que Gottayti de Raoudha Abdallah, Dyslexie de Mahmoud Turki, ou Aroug de Bader Dridi, en plus du show case de Badia Bouhrizi qui propose le même spectacle que celui de Hammamet et Dendri de Mohamed Khachnaoui qui présente une fusion originale de deux genres musicaux. Du plus profond du rituel stambeli, le «Dabdabou » (Etape rituelle rythmique), et la formation la plus connue «Gombri ET Chkachak» (Chant, rythme et danse). Entre théâtre et musique alternativ­e, le festival d’Ezzahra place la barre haut, et le public semble apprécier. Pourvu que ça dure.

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