L’insoutenable fragilité de l’âme
Loin de faire dans le thriller sensationnel, Kôji Fukuda nous bouleverse avec un récit, au rythme lent, sinistre, intemporel et métaphorique qui décortique les relations humaines.
Les deux salles Ciné Mad’Art à Carthage et Ciné Amilcar proposent pour cette rentrée culturelle le film «Harmonium» du Japonais Kôji Fukuda. Prix du Jury dans la section «Un certain regard» du Festival de Cannes 2016, ce huis clos sonde les profondeurs de l’âme humaine en partant d’un drame familial. «Harmonium» (dont le titre original signifie «Au bord du gouffre») est le 5e long-métrage de Kôji Fukuda (né en 1980) dont il signe, également, le scénario. Récompensé lors de la 69e edition de Cannes, ce dernier a déjà été reconnu lors de la 35e édition du Festival des Trois continents de Nantes, en 2013, où il a raflé la Montgolfière d’Or pour «Au revoir l’été». «Harmonium» fait dans le thriller psychologique, mais avec une grande subtilité dans l’écriture, réfutant tout manichéisme. C’est l’histoire bouleversante de la famille Suzuoka qui habite dans une discrète banlieue de Tokyo. Toshio, le père, dirige une petite usine de façonnage de métal, intégrée au foyer, Akié, la mère, s’occupe du ménage et s’adonne à des activités caritatives au sein de son église (protestante). Le couple mène une vie en apparence paisible avec leur fille Hotaru. Jusqu’au jour où apparaît dans leur vie Yasaka, un vieil ami de Toshio. Un matin, comme venu de nulle part, il se présente à son atelier, après une décennie en prison. Il avait commis un meurtre avec Toshio, mais il n’a pas dénoncé celui-ci. Pour rembourser sa dette, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l’harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié. L’«intrus» prend une place importante dans la famille, et la mère tombe sous le charme de cet homme attentionné différent de son mari insensible et froid. La bienveillance de l’homme gagne également la confiance de leur fille. D’emblée et dans un premier plan, la couleur est annoncée, une atmosphère sombre s’installe. La fille, assise de dos, jouant de l’harmonium. Sa mère l’appelle pour prendre son petit-déjeuner. La musique s’arrête, mais le métronome continue de battre d’une manière angoissante…La narration est traitée en ellipse, fragmentée avec des éléments-clés pour suggérer, sans les expliciter, les événements tragiques qui se sont produits. L’amabilité de Yasaka laisse place à un comportement imprévisible oscillant entre calme et impulsivité. Des pulsions sexuelles surgissent, dirigées vers la mère qui résiste vivement. Huit années plus tard, on retrouve une famille anéantie, la mère est psychiquement brisée et la fille, devenue adolescente, est clouée sur un fauteuil roulant. Le visage sans expression et les traits figés, sa transformation physique en dit long sur la violence du drame qui s’est produit. Loin de faire dans le thriller sensationnel, Kôji Fukuda nous bouleverse avec un récit, au rythme lent, sinistre, intemporel et métaphorique qui décortique les relations humaines. Les sentiments de culpabilité et de sacrifice sont, fortement, soulignés, faisant du passé le 5e protagoniste du film, un passé assassin qui ne cessera de hanter la vie de cette famille. Le réalisateur nous livre des clés à nous de les placer, à nous d’écrire. Il ne fait pas dans la demi-mesure et cultive jusqu’à la fin de son film une vision froide, sombre et tragique des connexions humaines. A découvrir
Meysem M.