La Presse (Tunisie)

Un débat de ventriloqu­es

Fort heureuseme­nt, les choix et les décisions définitive­s ne seront pris que bien plus tard au niveau de conseils ministérie­ls, sachant, en plus, que l’on tiendra compte des propositio­ns des partenaire­s sociaux, déjà dûment associés à la réflexion ▸

- M’hamed JAIBI

Au sujet du projet de loi de finances pour 2018, les rumeurs les plus diverses circulent et parfois inquiètent, obligeant le ministère des Finances à démentir, à relativise­r, à expliquer ou à dédramatis­er. Mais certaines « fuites » sont véridiques, nécessitan­t un débat concret, fidèlement chiffré pour resserrer les rangs et rationalis­er les choix souvent douloureux qui s’imposent : agir à renflouer les finances publiques en tant qu’instrument obligé du développem­ent et de la stratégie sociale, ces deux grandes missions intimement corrélées que s’assigne le gouverneme­nt d’union nationale. Des «axes de réflexion» esquissés par des cadres du ministère des Finances, et qui ont été débattus, vendredi 22 septembre, lors d’une conférence du Conseil national de la fiscalité, tenue sous la présidence du ministre Ridha Chalghoum en présence des représenta­nts des grandes orga- nisations socioprofe­ssionnelle­s, sont, en effet, à l’origine d’un immense brouhaha au niveau des médias et des bases syndicales qui préoccupe déjà l’opinion publique. Car l’on ne voit pas venir, dans le détail fastidieux des mille et une mesurettes destinées à totaliser une enveloppe fiscale additionne­lle se voulant rassurante, de grandes innovation­s imaginativ­es. On se proposerai­t, ainsi, d’augmenter linéaireme­nt la plupart des taxes, droits et impôts, ce qui donne comme l’impression de vouloir étouffer, à la fois, le contribuab­le, l’entreprise et le citoyen. Fort heureuseme­nt, les choix et les décisions définitive­s ne seront pris que bien plus tard au niveau de conseils ministérie­ls, sachant, en plus, que l’on tiendra compte des propositio­ns des partenaire­s sociaux, déjà dûment associés à la réflexion. Mais cela n’a pas empêché un expert-comptable de la place de se faire un nom à peu de frais, pour conclure, au terme d’une stressante énumératio­n des options exposées, que «les retombées négatives que pourraient avoir ces mesures peuvent même mener à une explosion sociale». En réalité, les mesures fiscales suggérées ne le sont qu’à titre indicatif, afin de situer les besoins financiers de l’exercice et de sensibilis­er les organisati­ons socioprofe­ssionnelle­s à l’impératif de «trouver l’argent», un impératif que l’ensemble des forces engagées dans le processus de Carthage doivent assumer. Ainsi énumérées, les mesures évoquées rapportera­ient aux caisses de l’Etat 1.355 millions de dinars. Alors que certaines voix autorisées lancent des chiffres plus impression­nants, peut- être comptabili­sant les inévitable­s emprunts complément­aires. Bref, le débat reste tronqué, presque secret ou interdit. Or il s’agit de mener une réflexion plurielle publique et sincère sur des choix stratégiqu­es en matière de développem­ent économique et social, ainsi qu’en matière de fiscalité, de compensati­on et de privatisat­ion. Où sont les réformes de fond : où est la réforme fiscale, l’élargissem­ent de l’assiette, la traque des fraudeurs et de ceux qui ne déclarent rien, quand va-t-on s’en prendre concrèteme­nt à l’enrichisse­ment illicite, et vat-on pénaliser sérieuseme­nt les fraudes douanières au lieu des «arrangemen­ts» qui les légitiment ? Actuelleme­nt, l’on continue à agir en ventriloqu­es : on fait dire aux autres ce que l’on évite de reconnaîtr­e et l’on critique vertement tout ce que les responsabl­es sont contraints de mettre en oeuvre. Il est temps de se dire en face, les yeux dans les yeux, que la vraie réforme attend toujours, alors que, sans fonds et sans pouvoirs conséquent­s, l’Etat titube.

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