Le plafond de verre n’est pas infranchissable
Le mode de scrutin, la parité horizontale et verticale, le projet de Code des collectivités locales permettront à plus de 100 femmes de se hisser à la tête de mairies. Mais les défis restent importants, seules 13% des femmes ont l’intention d’aller voter
Le mode de scrutin, la parité horizontale et verticale, le projet de Code des collectivités locales permettront à plus de 100 femmes de se hisser à la tête de mairies. Mais les défis restent importants, seules 13% des femmes ont l’intention d’aller voter et 300 mille femmes rurales ne possèdent pas de carte d’identité.
Le ministre des Affaires locales, Riadh Mouakher, a déclaré, hier, lors d’une conférence autour de la participation de la femme au pouvoir local, s’attendre à ce que les prochaines élections municipales portent des femmes à la tête de plus de 100 mairies sur les 350 municipalités. Pour celles qui ne seront pas maires, elles peuvent être vice-présidentes du conseil, conformément au projet de Code des Collectivités locales qui dispose que le président et le vice-président doivent être de sexe différent. « La généralisation du territoire municipal avec la création de 86 nouvelles municipalités favorisera l’égalité entre les femmes rurales et citadines », a-t-il ajouté tout en estimant que l’expérience des délégations spéciales a montré que les femmes déléguées ont été plus performantes que les hommes. De son côté, Lotfi Tarchouna, Doyen de la faculté de Droit de Sousse, a indiqué que le mode de scrutin choisi par la Tunisie, a pour avantage de permettre, en théorie, une parité parfaite. « En plus du mode de scrutin, le projet de Code des Collectivités locales encourage la parité notamment au niveau des commissions permanentes et au niveau de l’approche genre du budget », fait savoir Tarchouna. En dépit de ces constats encourageants, Torkia Ben Khedher, de la Ligue des Electrices Tunisiennes (LET), avance un chiffre alarmant : seules 13% des femmes ont l’intention de se déplacer aux urnes pour les élections municipales et 300 000 femmes ne disposent même pas de carte d’identité. « Lors de notre travail sur le terrain, nous avons vu des pères refuser que leurs filles obtiennent la carte d’identité par peur qu’elles ne voyagent ou se marient sans leur consentement », raconte Torkia Ben Khedhr.
Pas de leçon à recevoir… ni à donner
La conférence sur deux jours, organisée conjointement par le Conseil de l’Europe, le ministère des Affaires de la femme, de la famille et de l’enfance, le ministère des Affaires locales et de l’environnement, a pour objectif de faire en sorte que les textes et les travaux des pays du Conseil de l’Europe sur la question « puissent enrichir l’expérience tunisienne ». « Il faut faire en sorte que le cadre légal soit pleinement exploité pour que la participation des femmes dans la vie politique devienne une réalité, a appelé William Mossolin, chef du bureau du Conseil de l’Europe en Tunisie. Mais il faut que les normes ne soient pas déconnectées de la réalité du terrain ». D’ailleurs, à l’intérieur même du Conseil de l’Europe, une grande disparité existe entre les pays membres sur la question de la participation de la femme dans la vie politique. A titre d’exemple, 43% des conseils locaux et régionaux sont composés de femmes en Suède, tandis qu’elles ne sont que 13% en Croatie. « Même, dans mon pays en Autriche, nous devons nous battre tous les jours pour les droits de la femme, admet Gudrun Mosler Tornstrom, présidente du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe (la première à accéder à ce poste). Nous ne sommes donc pas juges, nous venons en amis pour donner des conseils mais aussi pour apprendre ». Pour elle, à l’ère des grands changements que vit la Tunisie, il ne faudrait pas rater l’opportunité de booster l’accession de la femme aux postes de responsabilité politique.
Des stéréotypes qui ont la peau dure
Pour les militants des droits des femmes, la question de la parité est tout bonnement une question de justice. « Si les femmes représentent 50% de la société, il est évident qu’elles doivent être représentées à hauteur de 50% dans la vie politique », explique Lenita Freidenvall, Professeure et Directrice adjointe de la division de l’égalité des genres. « La société ne peut être libre et démocratique si la dignité de 50% de ses membres n’est pas garantie », rajoute encore Gudrun Mosler Tornstrom. Mais même dans les pays les plus développés, la parité parfaite est difficile à atteindre, sans recourir à des mécanismes comme le système des quotas et une législation spécifique. En Suède, le taux des femmes élues dans les différents postes frôle les 44%. Un taux obtenu toutefois sans quotas, contrairement au Rwanda, champion de la parité avec 61.3% d’élues (la Tunisie est au 14ème rang avec 31% des femmes au parlement). « Pendant des siècles la politique a été l’apanage des hommes et ça prend du temps pour que les choses changent » , fait observer Gudrun Mosler Tornstrom. C’est que les stéréotypes ont la peau dure, même si la proportion des femmes élues a doublé entre 1975 et 2017. Jinene Limam, professeur de droit, dénonce, lors de son intervention, le gap entre l’arsenal juridique de plus en plus favorable aux femmes, mis en place dès l’indépendance, et la participation toujours aussi faible des femmes à la vie publique. « Si le parlement tunisien est composé de femmes à 34%, les têtes de liste candidates sont des hommes, sauf pour 12% des listes», indique-t-elle, précisant toutefois que cette participation varie souvent selon les régions et leur développement socio-économique. Ancien maire, se présentant comme expert des affaires municipales, Mounir Larbi a appelé à une évolution de la législation qui obligerait les partis et les associations à respecter la parité dans leurs structures.