Une majorité tarde à se dessiner
Les divisions freinent la quête d’une alliance vivable
AFP — Sonné et morcelé par le résultat des législatives, le monde politique allemand tentait hier de s’organiser pour permettre l’émergence d’une majorité gouvernementale viable après l’affaiblissement des forces traditionnelles et la percée d’un parti dérivant vers l’extrême droite. Les conservateurs CDU de la chancelière Angela Merkel et leurs alliés bavarois CSU rassemblaient leur groupe parlementaire en milieu d’après-midi, pour la première fois depuis le scrutin de dimanche qui les a laissés à leur plus faible niveau depuis près de 70 ans. Les yeux sont aussi rivés sur l’AfD. Malgré une percée lors du scrutin qui l’a vu recueillir près de 13% des voix et devenir la 3e force politique du pays, son unité est mise à mal du fait d’une dérive extrémiste de sa direction. Celle-ci a été illustrée notamment par l’appel du chef de campagne, Alexander Gauland, à être «fiers» des soldats du IIIe Reich. La coprésidente du parti, Frauke Petry, a fait sensation en annonçant claquer la porte du parti. Mais jusqu’ici aucun député ne lui a emboîté le pas. «Elle était la seule à ne pas être là aujourd’hui», a assuré Beatrix von Storch, députée et petite-fille du ministre des Finances d’Adolf Hitler. Au niveau régional, quelques cadres ont suivi Mme Petry, son mari Marcus Pretzell (chef de l’AfD pour Rhénanie du Nord-Westphalie) et deux responsables régionaux saxons.
Divisions chez les conservateurs
Critiqué pour ses dérapages répétés, M. Gauland a lui promis de calmer le jeu en soulignant «que bien entendu le discours tenu pendant la campagne électorale est très différent de celui qui sera utilisé au Bundestag». La famille politique d’Angela Merkel n’a pas non plus la tâche facile. Les plus conservateurs de son camp estiment que le cap au centre de la chancelière a conduit à l’hémorragie des voix vers l’AfD —1 million— et au score historiquement bas de 33%. Aux yeux des détracteurs de la chan- celière, c’est l’incapacité de répondre aux craintes provoquées par l’accueil de centaines de milliers de migrants en 2015 qui est en cause. Avant même de négocier avec Verts et Libéraux du FDP pour former la seule majorité de gouvernement possible, les conservateurs devront donc se mettre d’accord entre eux. «La CDU et la CSU doivent mettre les choses au clair, avant cela ça ne fait aucun sens de parler aux autres partis», a prévenu Alexander Dobrindt, figure de la CSU. Ce ne sera pas aisé, la Bavière ayant pour revendication phare le plafonnement du nombre annuel de demandeurs d’asile, ce que Angela Merkel refuse depuis deux ans.
Avec une élection cruciale en Bavière en 2018, la CSU risque de se montrer intraitable. Mais satisfaire les demandes des plus conservateurs risque d’avoir pour effet de faire fuir les 67 députés Verts sans qui une coalition de gouvernement est impossible.
La Jamaïque incertaine
Réunir au sein d’une équipe centristes, aile la plus à droite des conservateurs, libéraux et écologistes s’annonce donc comme un travail de plusieurs mois pour Mme Merkel. Sans majorité absolue pour la désigner chancelière, elle ne peut entamer son quatrième mandat. Des élections anticipées pourraient même être convoquées. Néanmoins, deux jours après les élections, les Allemands se disent désormais favorables à la création du curieux attelage à trois baptisé «Jamaïque» en raison des couleurs noire-jaune-verte des partis concernés. Selon un sondage de la chaîne publique ARD, 57% des personnes interrogées veulent que CDU/CSU, Verts et FDP forment le prochain gouvernement. Un bon de 34 points depuis dimanche ! Et 58% veulent qu’Angela Merkel reste à la chancellerie. «Les obstacles sont nombreux, et la conclusion incertaine en ce qui concerne ce projet Jamaïque», prévient cependant Robert Habeck des Verts. Les tractations qui s’annoncent vont être observées de près en Europe, car l’accord de coalition traitera très certainement des réformes en zone euro. Sans soutien allemand, les propositions que le président français Emmanuel Macron doit présenter hier auront du mal à s’imposer. Or chez les conservateurs et les Libéraux l’idée même d’un budget commun est un épouvantail car vécue comme une tentative d’imposer aux Allemands de payer pour les dérapages budgétaires des autres.