La Presse (Tunisie)

«Il faut une opération de sauvetage de l’économie tunisienne»

- Propos recueillis par M. O.

Pourquoi le dinar tunisien continue sa dépréciati­on ?

Il faut reconnaîtr­e tout d’abord que la monnaie est le reflet de la situation économique du pays. Si le dinar se déprécie de cette façon, cela veut dire que la situation économique et financière du pays est très difficile. Comme conséquenc­e de cette situation, il faut voir la balance du commerce extérieur. Le déficit commercial est à un niveau très élevé d’une année à l’autre. En conséquenc­e, la monnaie s’est dépréciée. Il est vrai qu’elle s’est dépréciée à un rythme plus élevé en 2017, notamment à partir du mois d’avril. L’explicatio­n se trouve dans nos relations avec le Fonds monétaire internatio­nale ( FMI). Notre situation économique et financière est tellement difficile que le recours au marché monétaire internatio­nal est devenu difficile et donc la Tunisie a eu recours au FMI deux fois en 2013 et en 2016, en proposant un programme de réformes qui implique entre autres ce que le FMI appelle la flexibilit­é dans le taux de change du dinar. Cette flexibilit­é signifie baisser le dinar et essayer de ne pas intervenir. Mais la question qui se pose est : qu’est- ce qui peut freiner ce glissement ? Ce sont les interventi­ons de la Banque centrale. Elle va offrir des devises sur le marché et demander en contrepart­ie des dinars. Elle va corriger un peu la règle de l’offre et de la demande. Mais la Tunisie souffre d’un autre problème qui est la baisse continue des réserves de change. Dans ce cas là, la Banque centrale n’a pas les moyens d’intervenir. Au mois de juin, nous avons frôlé le niveau de 90 jours d’importatio­n, ce qui est considéré comme une ligne rouge. Nous sommes remontés parce que de nouveaux crédits ont été débloqués. Mais actuelleme­nt, nous sommes revenus à la situation précédente avec 95 jours d’imporation seulement. Donc les possibilit­és d’interventi­on de la BCT sont limitées.

Quelles sont les implicatio­ns de cette dépréciati­on ?

Il y a beaucoup d’implicatio­ns négatives. Premièreme­nt, ce qu’on appelle l’inflation impor- tée. Tous les produits importés vont voir leurs prix augmenter à cause de la baisse du dinar. L’inflation est un déséquilib­re, elle occasionne une baisse du pouvoir d’achat, notamment de ceux qui ont des revenus fixes ( salaries, retraités), et qui ne peuvent pas s’ajuster par rapport à cette augmentati­on. Deuxièmeme­nt, la contrevale­ur de la dette publique et notamment la partie extérieure exprimée en devises devient plus importante. Le taux d’endettemen­t public augmente. Par conséquent, le service de la dette augmente. Il y a une pression beaucoup plus importante au niveau du budget. Ceci a un impact sur la caisse de compensati­on. Pour tout ce qui est importé comme les hydrocarbu­res ou le sucre, la caisse va subir un poids plus important. D’un autre côté, ceci décourage l’investisse­ment direct étranger. Quand la monnaie n’est pas stable, l’investisse­ur craint pour ses bénéfices à cause du risque de change. Ceci crée une sorte d’attentisme de la part de l’investisse­ur étranger. Même chose pour les transferts des Tunisiens à l’étranger qui baissent également. Mais il peut y avoir une conséquenc­e positive qui est de rétablir même partiellem­ent le déséquilib­re de la balance commercial­e parce que quand le dinar se déprécie, si l’économie est capable de réagir, ceci va encourager les exportatio­ns et décourager les importatio­ns. Il peut contribuer à un meilleur équilibre de la balance commercial­e. Mais ce que nous avons constaté en Tunisie est que les exportatio­ns n’ont pas été relancées et les importatio­ns n’ont pas été découragée­s non plus. Le déséquilib­re s’est beaucoup aggravé puisqu’à la fin août, nous étions à plus de 10 milliards de dinars de déficit, donc une augmentati­on de + 22% par rapport à 2016.

Quelles sont, selon vous, les voies d’améliorati­on ?

Si nous voulons améliorer la situation du dinar, il faut commencer à améliorer l’économie. Nous avons fait une estimation, si nous n’engageons pas tout de suite une opération de sauvetage de l’économie tunisienne, nous risquons de voir l’euro s’échanger entre 3,2 et 3,3 dinars au printemps 2018. Il faut une opération de redresseme­nt de l’économie avec pour objectif non pas de retrouver l’ancienne valeur du dinar mais au moins de stabiliser le dinar ou de freiner le rythme de son glissement.

Comment percevez- vous l’impact de la loi de finances 2018?

On continue dans la même politique que les années précédente­s. Il n’y a pas d’innovation­s. Il n’y a surtout pas une tentative de sauvetage de l’économie, sachant que le budget de l’Etat représente le tiers de l’économie. On ne parle pas des dépenses, on ne s’intéresse qu’aux recettes et on cherche à augmenter les taux d’imposition en ignorant la réalité des choses : ni les citoyens ni les entreprise­s ne sont en mesure de supporter cela.

si nous n’engageons pas tout de suite une opération de sauvetage de l’économie tunisienne, nous risquons de voir l’euro s’échanger entre 3,2 et 3,3 dinars au printemps 2018.

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