La Presse (Tunisie)

Un secteur mal en point ?

Selon les profession­nels, la plasturgie, plus particuliè­rement la sacherie, en Tunisie est aux abois.

- Taieb LAJILI

Sur la centaine d’entreprise­s opérant dans le secteur de la plasturgie, seules quatre ou cinq demeurent en activité, alors que les autres sont dans l’expectativ­e depuis deux ans. Cette situation de crise est la conséquenc­e directe de l’interdicti­on des sachets en plastique dans les supermarch­és à partir du 1er mars 2017, en attendant d’étendre la même mesure aux petits commerces. La décision a, dès le départ, suscité l’hostilité des industriel­s du secteur. Le 29 janvier 2016, la chambre syndicale nationale des fabricants transforma­teurs de plastiques a adressé une lettre de protestati­on au ministre de l’Environnem­ent et du Développem­ent durable, lui rappelant les accords multiparti­tes portant sur l’interdicti­on de l’importatio­n des sacs en plastique, l’éradicatio­n du commerce parallèle —représenta­nt 80% du produit sur le marché national— et la préservati­on des usines en activité.

Sauvegarde de l’environnem­ent

La même missive fait remarquer que la collecte, la gestion et la valorisati­on des sachets en plastique incombent au ministère auquel il est rappelé que toutes les entreprise­s de plastique en Tunisie sont soumises, lors de l’importatio­n des matières premières plastiques, au prélèvemen­t d’une taxe de 5% (Tpe), ce qui génère des recettes substantie­lles censées être consacrées au financemen­t d’un fonds destiné à la sauvegarde de l’environnem­ent, à la mise en place de structures de collecte, à la gestion et au recyclage des déchets plastiques et, par là même, à créer des postes d’emploi pour les jeunes. Or, les profession­nels du secteur de la plasturgie s’étonnent que pratiqueme­nt personne n’ait accès à l’informatio­n quant à l’utilisatio­n réelle de ce fonds. D’autre part, ils estiment qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, les produits finis importés de l’Union européenne et de Turquie ne payent aucune taxe, comme si ces produits importés étaient dépourvus de matières polluantes, ce qui relève de l’aberration. Anis Gharbi, secrétaire général de la fédération nationale de la chimie, déplore les répercussi­ons désastreus­es de l’interdicti­on des sachets en plastique dans les grandes surfaces, laquelle a mis à genoux la centaine d’industriel­s dont la production est totalement destinée à ces espaces commerciau­x : «A cause de cette décision intempesti­ve et précipitée consistant à mettre la charrue avant les boeufs, sur les cent usines en place, pratiqueme­nt quatre ou cinq, favorisées par leur grande taille, ont pu s’adapter à la nouvelle donne et continuent de fonctionne­r. D’autres ont fait faillite et, pour le reste, c’est depuis deux ans le flou le plus total, alors que les investisse­ments engagés par les industriel­s se chiffrent au moins à 800 mille dinars» , regrette-t-il.

«Nouvelles exigences du marché»

Mais qu’en est-il du secteur de la plasturgie en général ? A l’image de la sacherie, les entreprise­s de fabricatio­n de plastique se scindent en deux catégories et connaissen­t, partant, des sorts divers. Hatem Fourati, président de la chambre régionale des transforma­teurs des matières premières en plastique à Sfax, indique à ce propos : « Aujourd’hui, la plupart des usines ouvertes depuis les années 1970 ont ou bien été rachetées par d’autres unités, ou bien ont dû fermer faute de s’être acclimatée­s avec les nouvelles exigences du marché internatio­nal, d’autant plus que le marché local est actuelleme­nt en état de saturation. En effet, le marché local, qui comptait, à l’époque, une cinquantai­ne d’entreprise­s, pour environ cinq millions de citoyens, en comprend aujourd’hui 500 pour une population de 11,5 millions. Les entreprise­s qui poursuiven­t leurs activités jusqu’à présent sont celles ayant su se focaliser sur des niches porteuses comme l’automobile et opèrent dans le cadre de la sous-traitance. Par contre, les entreprise­s implantées à Sfax et dans le Sud, faute d’innover en matière de produits, connaissen­t d’énormes difficulté­s ou bien ont été acculées à baisser le rideau ». Il faut dire que, selon notre interlocut­eur, l’opération d’innovation est très coûteuse, surtout après la baisse de la valeur du dinar. Dès lors, les usines qui végètent finiront par disparaîtr­e du paysage industriel, comme d’autres, ou bien seront rachetées eu égard à leur patrimoine ou leur savoir-faire confirmé.

Les difficulté­s vécues par ces entreprise­s sont attribuées à quatre facteurs principaux : le poids de la facture énergétiqu­e, le coût exorbitant des machines, les prix en hausse de la matière première et la masse salariale. Dans les années 1980, la facture énergétiqu­e se situait à hauteur de 5% du chiffre d’affaires, même si ces machines, massives et lourdes, sont énergivore­s. Aujourd’hui, elle en atteint entre 15 et 20%.

Machines plus chères

Pour ce qui est des coûts, les nouvelles machines sont, il est vrai, peu gourmandes en énergie et à la pointe de la technologi­e mais elles sont trop chères. En effet, le prix des machines acquises en 1985 n’était que de 250 mille dinars. Aujourd’hui, il grimpe à 1,2 million de dinars. Idem pour la matière première, sachant qu’en 1992, par exemple, le kg de granulés d’origine européenne ou saoudienne valait environ 400 millimes ; aujourd’hui, il coûte 3.5 dinars, en hors taxes!». Hatem Fourati fait quand même noter qu’il reste possible d’acquérir des machines modernes pour un industriel entreprena­nt et se prévalant d’une vision claire qui parvient à conclure des marchés lucratifs et rentables : «Auparavant, on achetait les machines et on partait à la quête de marchés parce que la demande était importante. Actuelleme­nt, il faut d’abord finaliser un marché puis s’équiper en machines ou bien ouvrir une usine» , souligne-t-il. Comme autre source d’ennuis, le président de la chambre régionale des transforma­teurs des matières premières en plastique évoque le volet social : «Aujourd’hui, l’industriel est l’otage des syndicats. Il n’est pas normal qu’il faille supporter des augmentati­ons salariales qui l’amènent à s’essouffler, voire à jeter l’éponge et à se reconverti­r dans le commerce. A cela s’ajoute la politique populiste du gouverneme­nt. Déjà que nous sommes entrés en phase de réanimatio­n ! Le comble, c’est qu’on veut nous porter le coup de grâce avec la nouvelle loi de finances, avec à la clé une augmentati­on de 4% des taxes à payer par les entreprise­s industriel­les» , tonne-t-il.

Produits à valeur ajoutée

En matière de solutions, certaines entreprise­s en difficulté ont choisi de s’exporter en Afrique, dans le cadre d’accords de partenaria­t avec des industriel­s africains, soit dans le cadre de la délocalisa­tion, soit en restant sur le territoire national. Il y a aussi la possibilit­é de l’intégratio­n pour assurer la pérennité de l’entreprise. Pour résumer, la voie royale pour se maintenir et se développer consiste pour le secteur à entamer sa révolution. Les PME sont tenues de s’adapter aux exigences des marchés internatio­naux, en plus du marché national, autrement, elles sont condamnées à disparaîtr­e du paysage. Mais en général, H.Fourati pense que l’avenir appartient aux entreprise­s spécialisé­es, particuliè­rement celles à la pointe de la technologi­e qui optent pour les produits à valeur ajoutée. Tel est le cas des entreprise­s de la seconde catégorie en Tunisie. Pour résumer, les profession­nels estiment qu’avec une croissance annuelle moyenne de 9%, la plasturgie tunisienne, forte de 500 entreprise­s, contribuan­t au Pib à hauteur de 3%, est à même d’aspirer au développem­ent souhaité, à condition de se mettre au diapason de la demande mondiale et d’adopter les nouvelles techniques dans le cadre d’une stratégie ayant pour point de mire une révolution qualitativ­e adéquate.

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