Le double enjeu de la rencontre du Caire
La reprise des négociations de paix continue de nourrir le scepticisme : comment avancer vers la seule solution viable — la solution à deux Etats — alors que la politique de colonisation a fait de tels progrès dans les territoires palestiniens ? Et pourta
La reprise des négociations de paix continue de nourrir le scepticisme : comment avancer vers la seule solution viable — la solution à deux Etats — alors que la politique de colonisation a fait de tels progrès dans les territoires palestiniens ? Et pourtant, tout semble indiquer que les négociations interpalestiniennes, en ce moment, ne portent pas que sur la réunification de l’administration palestinienne...
Depuis mardi, les délégations du Fatah et du Hamas sont en pourparlers au Caire afin d’aboutir à une solution concrète qui leur permette de surmonter leurs divisions. Cette rencontre est importante parce que, outre qu’elle ouvre la porte à une remise en ordre politique de la maison Palestine, elle comporte des enjeux directs du point de vue de la reprise des négociations de paix avec Israël. Et la droite israélienne ne s’y trompe pas, elle qui a très longtemps utilisé le prétexte de la division dans les rangs palestiniens pour écarter de l’agenda politique toute négociation de paix : des voix fusent ici et là pour dénigrer cette rencontre du Caire. On y parle de «réconciliation bidon»... Bref, le rapprochement interpalestinien n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde. Il faut noter en outre que les pourparlers actuels ont été précédés par deux signaux forts : la suppression par le Hamas de la commission administrative, qui tenait lieu de gouvernement à Gaza et qui constituait un obstacle par rapport à l’hypothèse du retour d’un gouvernement unifié et, d’un autre côté, la récente visite du Premier ministre Rami Hamdallah, qui a tenu un conseil des ministres le 3 octobre dernier à Gaza et dont certains membres de son équipe ont d’ores et déjà repris possession de leurs bureaux à l’intérieur de l’enclave. Les discussions entamées devront venir à bout de trois difficultés : premièrement, le sort des employés relevant de l’ancienne Commission administrative à Gaza et, aussi et surtout, celui des hommes de la branche armée du Hamas, dite Brigades Izzeddine El-Qassam, dont la présence symbolise l’option de la lutte armée en guise de stratégie de reconquête des terres palestiniennes. Deuxièmement, la sécurité à Gaza et la nécessité d’en soumettre les structures au gouvernement unifié... Il est clair que ces deux difficultés sont en grande partie liées. Enfin, troisième difficulté: l’accord sur une feuille de route en vue d’élections générales, de telle sorte que, à terme, un nouveau gouvernement voie le jour dont la composition reflète la diversité de tendances à l’intérieur de la société palestinienne, à travers l’ensemble des territoires. Sur ces trois sujets, on peut en effet s’attendre à ce que les discussions soient serrées. Mais, encore une fois, ces pourparlers ne sont pas dissociables de la perspective d’une relance du processus de paix, telle que les signes s’en sont multiplié ces dernières semaines, et récemment encore lors de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Administration américaine est en première ligne, à travers des navettes qui fonctionnent à un rythme soutenu depuis plus de six mois entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien, avec notamment la mise à contribution du gendre du président Trump, le jeune Jared Kushner. Il faut rappeler ici que les discussions du Caire interviennent alors que le Hamas, qui continue d’être considéré officiellement, sur le papier, comme une organisation terroriste par certains pays occidentaux et Israël, a soumis sa politique à une transformation progressive. On note en tout cas que le cessez-le-feu avec Tel Aviv demeure en vigueur depuis maintenant plusieurs années : aucune atteinte n’a pu être mise au débit du Hamas. Ce qui veut dire que les éléments fanatico-jihadistes qui auraient pu rompre l’accord par des initiatives isolées et non concertées ont eux-mêmes été neutralisés. D’autre part, la Charte du Hamas a été modifiée le 1er mai dernier et le changement introduit ouvre un accès vers la possibilité d’une négociation palestino-israélienne. Enfin, les changements de personnes à la tête du mouvement, selon un savant mélange entre fidélité à la lutte et esprit d’ouverture et pragmatisme, tout cela converge dans le sens d’une gestion unifiée, à la fois des territoires palestiniens et des négociations à venir. Mais, dira-t-on, quelle est cette paix dont on prétend parler ? Est-elle encore possible ? Dans une déclaration faite à des journalistes au lendemain de la réunion du Conseil des ministres à Gaza, depuis son pays d’exil, les Emirats, l’ancien responsable du Fatah Mohammed Dahlan faisait remarquer que la solution visée — la solution à deux Etats — était devenue impossible dans un contexte de judéïsation de la Cisjordanie, et ce, en raison de la politique de colonisation menée par le gouvernement israélien. L’objection est majeure ! Mais force est de constater que Mahmoud Abbas ne la considère pas comme insurmontable, lui qui, on s’en souvient, avait pourtant protesté énergiquement le jour où le président américain avait laissé entendre que la solution à deux Etats n’était peut-être pas la seule possible. «Le plan américain est viable !» : c’est ce qu’il a encore répété à New York, en marge de l’AG des Nations unies. On croit savoir par ailleurs que, à la différence de l’ancien plan de paix de 2002, défendu par l’Arabie saoudite, on s’achemine vers un plan par étapes, avec un élargissement progressif des zones de contrôle palestinien à la faveur de nouvelles négociations dans l’avenir, et ce, jusqu’à atteindre la totalité du territoire correspondant aux frontières de 1967... Il semble assez évident que le scénario vers lequel on s’achemine est, à terme, celui d’un Etat palestinien qui engloberait des populations juives, au même titre que l’Etat israélien abrite de son côté des populations arabes... Si tel est le cas, la réponse à Dahlan serait contenue dans le scénario en question.