Comment atténuer la grisaille sociale ?
Loin de connaître une explosion démographique, la Tunisie est confrontée à un fléau social qui n’est pas des moindres : la fuite d’une composante sociale, supposée être le pouls de son économie nationale. Le retour à l’expérience réussie en matière de for
Loin de connaître une explosion démographique, la Tunisie est confrontée à un fléau social qui n’est pas des moindres : la fuite d’une composante sociale, supposée être le pouls de son économie nationale. Le retour à l’expérience réussie en matière de formation professionnelle et son intégration comme un cycle obligatoire avant de quitter les bancs du savoir épargnera aux jeunes, selon l’universitaire et expert-comptable Oualid Ben Salah, délinquance, migration clandestine et autres maux sociaux.
Cela se passe en Méditerranée, pas loin des côtes tunisiennes, d’ailleurs. Des centaines si ce n’est des milliers de vies sont, répétitivement, fauchées à la fleur de l’âge. La plupart nécessiteux, marginalisés ou livrés à eux-mêmes, des jeunes Tunisiens, et bien d’autres issus d’autres contrées, prennent souvent la route de la mort. Diagnostics, recherches, colloques et recommandations se succèdent. Mais pratiquement, les choses n’ont, malheureusement, pas bougé d’un iota chez nous. Rien que la semaine dernière (dimanche), huit migrants clandestins ont trouvé la mort dans une collision d’un navire militaire tunisien avec une barque transportant des candidats au voyage de la mort, selon un communiqué du ministère de la Défense. Plus tôt, en septembre dernier, 550 migrants clandestins tunisiens et africains, qui tentaient de rejoindre clandestinement l’Europe, avaient été arrêtés par la marine tunisienne. Le pays offre un camaïeu de gris qui dure depuis la révolution de 2011. En atteste le dernier rapport du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes/ONG), présenté lundi à la presse. Quelque 1652 candidats tunisiens à l’émigration clandestine ont été arrêtés entre janvier et septembre 2017. La situation a encore empiré durant les mois de juillet-août : 1040 personnes ont été arrêtées pour le même chef d’inculpation, d’après la même source. Depuis près de 7 ans, la Tunisie connaît une grande vague de migration clandestine en direction des côtes italiennes, a alerté l’ONG. Les autorités, elles, ont récemment fait état de 22 mille personnes qui ont tenté de traver- ser clandestinement les frontières, alors que le Ftdes les estimait à plus de 35 mille, dont plus de 500 disparus.
Fuite du pouls de l’économie nationale
Loin de connaître une explosion démographique (uniquement 11,4 millions en 2016, selon des statistiques officielles), la Tunisie est confrontée à un fléau social qui n’est pas des moindres : la fuite d’une composante sociale, supposée être le pouls de son économie nationale. Pourquoi l’hémorragie sociale dure-t-elle encore ? Et quel plan d’action à entreprendre, en toute urgence, pour récupérer un « objet social mal identifié »? La Presse a, à ce sujet, interrogé l’universitaire et expert-comptable Oualid Ben Salah. Faisant état d’une économie en berne, avec un taux de croissance économique estimé à 1% en 2016 et un déficit budgétaire qui devrait rester élevé à 5,9 % du PIB en 2017, selon la Banque Mondiale, l’universitaire recommande une série de réformes adaptées à la réalité du pays. Dans cette optique, Ben Salah rattache l’employabilité des jeunes à une reprise de la croissance économique qui se trouve aux arrêts depuis près de sept ans. « Le ralentissement de la croissance économique a un impact direct sur les investissements et, par ricochet, sur la création de nouveaux postes d’emploi », fait remarquer l’expert-comptable. Il plaide également pour l’amélioration du climat des affaires qui se veut gangréné et travesti par les mouvements sociaux et la lourdeur des procédures douanières. « La Tunisie a occupé la 95ème place (sur un total de 137 pays), avec un score de 3,93 sur 7, dans le classement annuel sur la compétitivité globale du Forum économique mondial de Davos pour 2017-2018 », indique l’enseignant universitaire.
Revoir un modèle de développement « caduc »
Faisant état d’un inquiétant immobilisme, il appelle par ailleurs à revoir le modèle de développement devenu caduc, donc, inefficace. « Le pays a été classé 135e sur un total de 138 pays en matière d’efficience du marché du travail, d’après le même rapport Davos », alerte-t-il. Dans la même perspective, l’expert financier dénonce un taux très élevé du marché monétaire (5,2%). Ce qui impacte directement l’accès des jeunes au financement et entrave, par conséquent, la création de nouveaux projets (le pays étant classé 134e sur un total de 138 pays-Davos). Pour Oualid Ben Salah, il n’y a pas de recette magique pour la reprise de la croissance et la création de nouveaux emplois au profit d’une jeunesse tunisienne exposée à mille et un périls. Il suffit d’une approche réaliste et adaptée à la situation économique et au tissu social du pays pour épargner à ses populations jeunes, surtout les moins qualifiées, une descente aux enfers aux conséquences lourdes sur le double plan économique et social. « Aujourd’hui, il faut revoir le modèle de développement initié il y a bien des décennies. Une sortie de crise implique, dans un premier temps, une bonne identification de nos priorités en matière de développement éco- nomique et social », fait observer l’expert financier.
S’inspirer des autres
De ce point de vue, il appelle à s’inspirer des modèles les plus réussis au niveau international. Pour lui, le système de formation en alternance, créé sous le chancelier allemand Otto Von Bismarck (1870-1890), pourrai être le socle d’une toute-puissance économique tunisienne. Tel était le cas en Allemagne, ce système de formation fournissait aux entreprises allemandes la main-d’oeuvre qualifiée dont elles avaient besoin en rendant les jeunes « immédiatement employables ». De l’avis de Ben Salah, ce modèle allemand pourrait, à bien des égards, profiter à un pays dont les inégalités, flagrantes, se transmettent d’une génération à l’autre, à l’école et à l’université. Il préconise, dans ce sens, un retour à l’expérience tunisienne réussie en matière de formation professionnelle. « La reprise de la formation professionnelle comme étant un cycle obligatoire avant de quitter les bancs du savoir, épargnera à nos jeunes délinquance, immigration clandestine et autres maux sociaux », insiste-t-il. L’analyste tunisien appelle, du reste, à une diplomatie économique active capable de prospecter de nouveaux marchés à forte employabilité et à mieux promouvoir l’expertise tunisienne dans les pays émergents. « Pourquoi ne pas créer au niveau des ambassades tunisiennes des cellules spécialisées en matière de négociations, en vue d’ouvrir de nouveaux horizons devant une jeunesse souvent dévorée par les dents de la mer? », s’interroge-t-il.