La Presse (Tunisie)

L’impératif d’une politique nationale de la jeunesse

- Par Brahim OUESLATI

C’était la dernière fois où on célébrait la fête de la jeunesse juste après la fête de l’indépendan­ce. Une manchette du journal La Presse du 21 mars 2012, sous ce titre « Y a-t-il un projet pour la jeunesse ? ». Cinq ans et quelques mois après, aucune réponse n’a été apportée. Pis encore, plusieurs questions demeurent émer- gentes, voire préoccupan­tes, en cette période précise. Deux événements sont venus nous tirer de notre torpeur et nous rappeler à l’esprit que cette jeunesse qui a déclenché les événements ayant abouti à la chute de l’ancien régime n’a rien reçu ou presque de dividendes de « sa révolution ».

C’était la dernière fois où on célébrait la fête de la jeunesse juste après la fête de l’indépendan­ce. Une manchette du journal La Presse du 21 mars 2012, sous ce titre « Y a-t-il un projet pour la jeunesse ? ». Cinq ans et quelques mois après, aucune réponse n’a été apportée. Pis encore, plusieurs questions demeurent émergentes voire préoccupan­tes en cette période précise. Deux événements sont venus nous tirer de notre torpeur et nous rappeler à l’esprit que cette jeunesse qui a déclenché les événements ayant abouti à la chute de l’ancien régime, n’a rien reçu ou presque de dividendes de « sa révolution ». Elle se trouve désorienté­e, déboussolé­e, en perte de repères et n’a pratiqueme­nt plus de raisons d’espérer dans un monde si troublé. La première se rapporte à l’attaque terroriste contre la gare Saint Charles à Marseille qui a fait deux morts innocentes et dont l’auteur, abattu par la police, est un Tunisien. Depuis, une véritable traque a été engagée en Europe contre d’autres tunisiens suspectés d’être impliqués dans cet attentat et des arrestatio­ns ont été opérées en France, en Italie et en Suisse. Même en Tunisie, un frère et une soeur de l’assaillant ont été arrêtés avant d’être relâchés pour insuffisan­ce de preuves. Le second a trait à la migration clandestin­e aux conséquenc­es tragiques. Selon le Forum tunisien des droits économique­s et sociaux(FTDES), au cours du premier semestre de 2017, pas moins de 54 opérations d’immigratio­n non réglementa­ire sur le sol tunisien ont été intercepté­es et 612 personnes ont été arrêtées dont 197 étaient de nationalit­é étrangère. La collision au large de de Kerkennah (Sfax), entre une patrouille de la marine nationale avec une embarcatio­n transporta­nt des candidats à la migration clandestin­e et qui a fait 8 morts, alors que 38 ont été sauvés, n’est qu’un drame qui s’ajoute à plusieurs autres. D’ailleurs, le dernier conseil national de la sécurité, réuni sous la présidence du Chef de l’Etat, s’est penché sur la question. Ces phénomènes ne sont pas nouveaux

Le phénomène n’est pas nouveau, bien qu’il se soit propagé, au cours de dernières années, pour devenir endémique. Il y a plus de dix ans, la sonnette d’alarme a été tirée, mais elle n’a pas eu d’échos auprès des autorités de l’époque. Dans un rapport publié, en 2007, par les Nations unies, sur la base de données recueillie­s par plusieurs organismes gouverneme­ntaux tunisiens, dont notamment l’Observatoi­re national de la jeunesse, et présenté au mois d’octobre de la même année devant les représenta­nts de la presse nationale et internatio­nale, « environ 41% des jeunes âgés de 15 à 19 ans désirent émigrer et 15% sont prêts à le faire clandestin­ement » et évoquent «un avenir incertain» dans leur pays. Le rapport a relevé alors que « la tendance est plus élevée chez les garçons (52,7%), les chômeurs (55%) et les jeunes issus des régions défavorisé­es, en particulie­r le Nord-Ouest où plus d’un jeune sur quatre rêve d’émigrer illiciteme­nt ». Un constat, déjà, amer. Un autre fait, non moins rassurant, «la proportion des Tunisiens mis en cause dans le vol a triplé en moins de quatre ans», lit-on dans un rapport de l’Observatoi­re français de la délinquanc­e qui publie, depuis 2006, les chiffres de la délinquanc­e constatée et enregistré­e par les services de police et les unités de la gendarmeri­e. C’est la première fois que les Tunisiens font leur apparition dans ce genre de document.

Sans revenir aux raisons de la déferlante migratoire et ses consé- quences, car beaucoup a été dit et redit sur le sujet, encore moins sur l’implicatio­n de jeunes Tunisiens dans le terrorisme et le crime, il est clair que la responsabi­lité de tous les gouverneme­nts successifs depuis les premières années de l’indépendan­ce est évidente, puisqu’ils n’ont pas pensé à la mise en place d’une véritable politique de la jeunesse, réfléchie et concertée. Les quelques tentatives entamées n’avaient pas abouti. Que l’on ne se leurre pas. Beaucoup de dialogue avec les jeunes, de consultati­ons, d’études et de rapports sur et avec les jeunes ont été initiés mais dont les conclusion­s sont restées sans lendemain. Le dernier en date est le « dialogue sociétal autour des questions des jeunes », annoncé par le président de la République et clôturé par le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, fin décembre dernier. Il avait annoncé un certain nombre de mesures dont notamment l’organisati­on d’une conférence nationale sur l’investisse­ment au profit des jeunes, la révision des attributio­ns du Conseil supérieur de la jeunesse et la mise en place d’une stratégie nationale intégrée de la jeunesse à l’horizon de 2030. Depuis, on n’en sait que peu ou prou sur la suite qui a été donnée à ces « faits » d’annonce ! Une vision nouvelle de la jeunesse

Nous avons, tant de fois, appelé à mettre la question de la jeunesse au coeur de l’actualité nationale et à hisser le secteur au niveau des secteurs stratégiqu­es. En l’absence de feuille de route claire, on ne saurait apporter de réponses claires aux préoccupat­ions des jeunes. Cette feuille ne pourrait être définie sans la mise en place d’une politique nationale de la jeunesse, que nous avons précédemme­nt évoquée. Cette politique devrait se donner comme objectif stratégiqu­e, « d’avoir une vision nouvelle de la jeunesse » en rapport avec les nouvelles mutations et l’évolution du pays, à tous les niveaux et les défis des génération­s futures. Une politique qui garantirai­t « une vision de société ouverte pluraliste », respectueu­se des principes fondamenta­ux de la Constituti­on, de l’unité nationale et à forte cohésion sociale. Elle devait s’inscrire « de manière cohérente » dans les stratégies de développem­ent politique, économique, social et culturel du pays. Pour ce faire, le gouverneme­nt pourrait mettre en place un comité national, avec notamment le ministère des Affaires de la jeunesse et l’Institut tunisien de études stratégiqu­es, pour se pencher sur la définition du cadre conceptuel et l’élaboratio­n d’un projet qui fera l’objet d’une concertati­on avec toutes les parties concernées, en premier lieu les représenta­nts des jeunes et ce à partir d’une analyse profonde des problémati­ques de la jeunesse tunisienne. La politique nationale de la jeunesse aura pour finalité d’impliquer les jeunes au processus de prise de décision, notamment dans les décisions les concernant et à les amener vers leur autonomie et à leur responsabi­lité sociale.

Plusieurs pays, dont des pays africains comme le Burkina Faso, Madagascar, le Congo, ont déjà arrêté une politique nationale de la jeunesse, définie dans un texte de loi qui sert de guide pratique en vue d’harmoniser toutes les actions en faveur de la jeunesse. Cette politique est le fruit « d’un long processus basé sur l’approche participat­ive, la concertati­on, le dialogue et le consensus ». Il est grand temps d’élucider cette question et penser à une véritable politique de la jeunesse qui permette de sortir des sentiers battus.

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