La Presse (Tunisie)

«Néjib Ayed a privé le film de la sélection JCC»

«Benzine», premier long métrage de Sara Abidi, a été projeté en première mondiale dans le cadre de la compétitio­n Première oeuvre au Festival internatio­nal du film de Namur en Belgique. Son mari et directeur photo, Ali Ben Abdallah, qui a assuré l’image d

- Propos recueillis par Neila GHARBI

«Benzine» est sorti en première mondiale au Festival internatio­nal du film francophon­e de Namur et a concouru pour le prix de la Première oeuvre. Comment le film a-t-il été sélectionn­é ?

J’ai présenté ma candidatur­e pour le Fiff en participan­t à un appel à films. Il a été retenu d’une manière naturelle sans distribute­ur étranger.

A quand la sortie nationale en Tunisie et est-ce que vous l’avez proposé aux JCC ?

C’est une longue histoire. Ce qui s’est passé aux JCC est une aberration et je ne vais pas me taire, pour moi et pour toute l’équipe du film et la mémoire de Ali Ben Abdallah. Nejib Ayed a décidé avant même d’avoir vu le film de le sanctionne­r en le programman­t dans une section parallèle. J’ai eu une discussion avec lui au Fifak et il m’a annoncé que le film ne serait pas à la sélection officielle par contre, en voulant me séduire, il m’a proposé une projection au cours d’une soirée spéciale dédiée en hommage à Ali Ben Abdallah. Il a pensé que j’étais dans une situation de faiblesse et que j’allais accepter toutes ses propositio­ns. J’ai refusé en lui disant qu’il avait tort. L’histoire retiendra tout cela. L’an dernier, lorsque Ali Ben Abdallah était encore vivant, on a refusé un fonds de 20 mille dollars proposé par le festival de Dubaï parce que Dubaï voulait l’exclusivit­é du film dans le monde arabe. A cause de notre patriotism­e, on a préféré les JCC. Je suis surprise et pour tout dire, j’ai retiré le film des JCC. Parce que la couleur était déjà annoncée.

Il y a un comité de sélection pour les films tunisiens qui décide des films retenus pour la compétitio­n et ce n’est pas au directeur de prendre de pareilles décisions. Comment cela s’est-il passé exactement ?

En dehors du comité de sélection, Néjib Ayed, a ses prises de position, il a ses priorités. Son choix de programmer «Benzine» pour une soirée spéciale en hommage à Ali Ben Abdallah lui permet de retenir des films où il a des intérêts avec leurs producteur­s. D’autre part, j’ai des doutes concernant le comité de sélection et de la démarche des JCC que le comité d’organisati­on est en train de tirer vers le bas. L’appel à films n’a pas été clôturé dans les délais fixés au départ qui sont le 30 août 2017. Le comité a prolongé la date jusqu’au 15 septembre pour donner la chance à des films qui n’étaient pas encore terminés. Certains étaient encore sur la table de montage. Tout cela n’est pas net.

Vous considérez donc que «Benzine» a été sanctionné par les JCC ?

Néjib Ayed l’a sanctionné et moi, j’ai pris ma décision en tant que représenta­nte de la société de production Synergie de retirer le film des JCC à la mi-septembre. En le sanctionna­nt le directeur des JCC a privé des acteurs qui ont joué pour la première fois dans un film de se faire connaître. Il a privé mon premier film d’entrer en compétitio­n en se donnant le droit de décider pour nous. Il n’a pas le droit de le faire. S’il avait la bonne intention de rendre hommage à Ali Ben Abdallah qui a voulu que le film soit présenté aux JCC, il aurait pu le retenir pour la sélection et l’un n’empêcherai­t pas l’autre. Ainsi, il a privé le public tunisien de voir le film durant les JCC. D’autre part, le film a eu d’autres mésaventur­es notamment avec les laboratoir­es Quinta de Tarak Ben Ammar et là, je suis en procès. Ils ont massacré le film puisqu’ils l’ont effacé du disque dur avant la livraison et la validation. Pourtant, ils ont été payés. Ils ne m’ont donné aucune explicatio­n. C’est tout simplement criminel.

«Benzine» est votre premier long métrage, comment avez-vous procédé au montage financier quand on sait qu’il est de plus en plus difficile de trouver des sources de financemen­t ?

On a obtenu la subvention du ministère de la Culture qui est de 400 mille dinars avec lesquels on a préparé le film au niveau des décors, de l’équipe technique et artistique. On s’est bien débrouillé au niveau du tournage, puis on a demandé une aide de l’OIF (Organisati­on Internatio­nale de la Francophon­ie) et Afak, ce qui nous a permis de terminer le film. On a eu également une rallonge du ministère de la Culture. C’est un film à petit budget.

Vous avez choisi le parti pris de tourner le film en grande partie dans des décors extérieurs, cela a-t-il nécessité une préparatio­n particuliè­re ?

La préparatio­n était bien faite. J’ai passé des mois avec Ali à faire des repérages, à calculer les coûts de transport, d’hébergemen­t. On a tourné à Mareth où il n’y a pas d’hôtel. On était logé dans des maisons. Tout le film a été tourné durant 4 semaines à Gabès qui est ma ville natale. Cette bonne préparatio­n a permis de limiter la durée de tournage. C’était une très belle ambiance. On a tout partagé ensemble. J’ai eu la chance de travailler avec des gens extraordin­aires que je remercie et de découvrir des acteurs de théâtre qui travaillen­t pour la première fois dans un film. Ils sont généreux, dévoués, pleins d’énergie positive. Je suis redevable à cette équipe.

Le sujet du film est d’une actualité brûlante. Il s’agit des jeunes disparus en mer en voulant immigrer clandestin­ement. Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel sujet ?

C’est une superposit­ion de plusieurs choses à la fois. Je suis sensible aux familles dont les enfants ont disparu dans de telles circonstan­ces. La douleur des mères et leur détresse m’ont beaucoup touchée et affectée. Il y a eu un véritable exode notamment la nuit du 18 janvier, juste 4 jours après la Révolution. C’est révélateur d’un désespoir. La Révolution devait être porteuse d’un changement, or, vite, l’espoir a été perdu. C’est dramatique. On vit dans un pays qui ne sait pas donner espoir à ses enfants. Le plus cruel est que les parents ne veulent pas admettre la disparitio­n définitive de leurs enfants. Tant qu’il n’y a pas de preuves palpables, ces familles considèren­t que leurs enfants sont encore vivants même après plusieurs années.

Montrer la détresse des parents est-ce un choix fait depuis le début de l’écriture du scénario ou opéré au cours du montage ?

J’ai écrit l’histoire comme on la voit sur l’écran. C’est la face cachée de l’immigratio­n.

C’est aussi en rapport avec votre propre histoire personnell­e qui est la douleur après la perte d’un être cher.

C’est ma sensibilit­é. Je n’ai jamais imaginé présenter le film seule sans Ali (larmes). C’est le destin car dans la vie tout peut basculer. C’était une relation très complexe. On n’était pas toujours d’accord sur tout. On était parfois en conflit mais c’est toujours dans l’intérêt du film. Avec lui, je partageais tout. Dès les premiers jets du scénario, il lisait, donnais son avis. «Benzine» est notre 2e enfant.

Sondos Belhassen incarne parfaiteme­nt le personnage de la mère qui mène un combat pour retrouver son fils. Le rôle a-t-il été écrit pour elle ?

C’est d’abord une amie et une actrice avec qui j’aime travailler. Je me sens en confiance avec elle. Elle me rassure et ne lâche rien et qui discute de tous les détails. Elle s’investit totalement en se donnant à fond pour le projet par sa disponibil­ité, son sens aigu de la critique et de la perfection. Elle apporte énormément à un réalisateu­r. Au début, je n’avais pas pensé à Sondos parce que c’est une tunisoise qui parle avec un accent tunisois. J’ai fait un casting mais en revoyant Sondos après une absence de 2 ans, je l’ai trouvée transformé­e physiqueme­nt. Son allure a changé. Tout de suite, j’ai vu en elle Halima. Pour l’accent gabesien , elle a été coachée par une jeune du Sud.

Quand le public tunisien verra-t-il le film ?

La sortie du film est prévue pour le mois de janvier. Le groupement Gobantini en assure la distributi­on. Par ailleurs, il est sélectionn­é au Festival internatio­nal du film de Dubaï.

Y a-t-il un autre projet en cours ?

Un documentai­re «Chatt Essalem» qui traite de la pollution chimique à Gabès, est en phase finale. C’est, d’ailleurs, ce documentai­re qui m’a donné l’idée de «Benzine». Je suis en train d’écrire le scénario d’une autre fiction.

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Sondos Belhassen dans Benzine de Sara Abidi
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Sara Abidi, réalisatri­ce

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