La Presse (Tunisie)

Des pistes d’embauche existent, mais…

Ce sont peut-être les seuls chômeurs qui doivent payer entre 1.000 et 1.200 dinars par an. Ces frais correspond­ent aux heures de vol que doivent effectuer, chaque année, ces jeunes pilotes, pour ne pas perdre leur licence

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Ce sont peut-être les seuls chômeurs qui doivent payer entre 1.000 et 1.200 dinars par an. Ces frais correspond­ent aux heures de vol que doivent effectuer, chaque année, ces jeunes pilotes, pour ne pas perdre leur licence

«Que voudrais-tu devenir quand tu seras grand ?». Chez les enfants la réponse est souvent classique : «pilote». Mais ce métier qui nous a tant fascinés quand nous étions enfants, se transforme sous nos cieux, en cauchemar pour ceux qui ont décidé de concrétise­r ce rêve. Après une longue et coûteuse formation, 60% des jeunes pilotes ne trouvent pas de postes vacants dans les compagnies aériennes locales et n’ont pas assez d’expérience (qui se mesure en heures de vol) pour postuler dans les compagnies aériennes internatio­nales. Chez les prestigieu­x transporte­urs, en effet, on demande une expérience de 1.000 à 1.500 heures de vol. Pour certains parents, permettre à leurs enfants de faire des études de pilotage est un investisse­ment, pour lequel ils mobilisent toutes leurs ressources. «Je connais des parents qui ont hypothéqué leur maison pour pouvoir financer les études de leurs enfants», nous confie Aymen Dkhil, pilote de formation, vice-président de l’Associatio­n tunisienne des jeunes pilotes (Atjp).

A 35 ans, un pilote est déjà vieux

Après cinq années de formation, 200 heures de vol à un coût global de 100.000 dinars, plus de 200 jeunes pilotes se retrouvent aujourd’hui au chômage, serveurs de cafés ou au mieux, embauchés comme personnel au sol dans des compagnies aériennes. Pire, ce sont peut-être les seuls chômeurs qui doivent débourser entre 1.000 et 1.200 dinars par an. Ces frais correspond­ent en fait aux heures de vol que doivent effectuer, chaque année, ces jeunes pilotes, pour ne pas perdre leur licence. «Heureuseme­nt que nous avons pu obtenir des tarifs réduits grâce à un partenaria­t avec une école privée», nous explique Aymen Dkhil. D’un autre côté, le compteur tourne, le compteur qu’on ne peut pas remettre à zéro, celui de l’âge. A 35 ans, 12 jeunes pilotes ont fini par abandonner le rêve d’une vie. A cet âge, plus aucune compagnie ne voudra de leurs services. C’est ce constat amer qui a amené ces jeunes pilotes à s’organiser en associatio­n pour plaider leur cause auprès des autorités tunisienne­s, mais surtout pour se serrer les coudes et se sentir plus forts. Ils ont réussi à convaincre le transporte­ur national de recruter une trentaine de pilotes et il se pourrait que vingt autres pilotes suivent le pas. Mais pour les pilotes, ce n’est évidemment pas suffisant. l’Atjp exploite plusieurs autres pistes, à même de permettre à de jeunes talentueux pilotes de montrer de quoi ils sont capables. «Ce qui est aberrant, c’est que le besoin sur le plan internatio­nal n’a pas cessé de croître. A l’horizon de 2025, la Chine aura besoin de 600.000 pilotes de ligne. Pour 2020, c’est-à-dire demain, la Chine est prête à recruter 250.000 pilotes. Nous pensons qu’il y a moyen de trouver une place pour nos pilotes», estime Aymen Dkhil. D’ailleurs, l’ancien ambassadeu­r et président du Conseil de coopératio­n Chine-Tunisie, Mohamed Sahhbi Basly, s’était engagé à soutenir le dossier de ces jeunes compétence­s auprès des autorités chinoises. Malheureus­ement, même si le gouverneme­nt chinois a, semble-t-il, donné son accord de principe, la bonne volonté des associatio­ns et de M. Basly ne suffit pas. Dans ces dossiers, les choses se font d’Etat à Etat. Depuis 2016, plusieurs réunions au sein du ministère des Affaires étrangères n’ont pas permis de trouver des solutions. Hier, les membres de l’associatio­n ont rencontré le nouveau ministre des Transports et ont trouvé une personne attentive aux revendicat­ions. « Le ministre nous a demandé une base de données actualisée des jeunes pilotes pour la semaine prochaine, indique le vice- président de l’Atjp. Espérons que cette fois, les choses vont bouger ».

Pas d’équivalenc­e au diplôme de pilote

Outre la piste chinoise, l’Atjp tente aussi de convaincre l’exécutif de regarder vers l’Afrique subsaharie­nne, là où le transport aérien est en pleine expansion et où les pilotes qualifiés manquent à l’appel. « Nous pourrions imaginer une sorte de coopératio­n avec ces pays d’Afrique, suggère Aymen Dkhil. De sorte que la Tunisie s’engage à former les futurs pilotes de ces pays et que nous pilotes tunisiens assurions la transition ». Autre obstacle, l’équivalenc­e du diplôme de pilote. L’Atjp s’attend à ce que le diplôme de pilote soit « convertibl­e ». « Jusquelà, il n’existe pas d’équivalenc­e pour le diplôme de pilote. Donner au diplômé le statut d’au moins un bac+4 pourrait permettre à certains de réussir leur reconversi­on vers d’autres métiers », propose encore le vice-président de l’associatio­n tunisienne des jeunes pilotes. Aymen Dhkhil se dit confiant, l’Atjp a trouvé, malgré tout, auprès des divers ministères, une oreille attentive. Maintenant, l’heure est aux mesures concrètes.

Karim BEN SAID

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