De reconnaissance, d’hommage et de nostalgie
Youssef Chahed clôture sa trilogie des avec un récit poignant.
Feuillets d’un immigré
«C’étaient les plus beaux et merveilleux souvenirs, les plus inoubliables qui furent offerts à vivre... Ils lui serviront dans les moments d’ennuyante solitude à chasser le désoeuvrement et la solitude», se souvient l’auteur de son premier tête-à-tête avec cette épouse qui l’accompagnera pendant trois décennies avant de s’éteindre. De cette flamme qui illumina non seulement sa vie, mais celles de tous ceux qui eurent le privilège de connaître Hédia, naquit ce dernier opus de sa trilogie consacrée à sa vie d’immigré.
Heureux, mais il leur manque quelque chose !
Un coup de foudre digne du pur romantisme. Un jeune homme qui a convenablement réussi, issu d’une famille honorable, il est impétueux, il survole encore les soucis de cet engagement que l’on nomme responsabilité, il est heureux à sa manière mais il lui manque quelque chose. Une demoiselle de bonne famille qui brille par sa réserve mais aussi par ce je ne sais quoi qui auréole certaines jeunes filles d’un invisible magnétisme, elle n’est pas révoltée contre quoi que ce soit, elle est en paix avec son entourage, et comme lui, elle est heureuse à sa manière mais il lui manque pareillement quelque chose. Une attente confuse qui va prendre fin au même moment, pour l’un comme pour l’autre car c’est à l’occasion d’une célébration familiale que leurs yeux se rencontrent pour la première fois. C’est elle, se serait-il dit. C’est lui, lui aurait chuchoté son coeur. L’idylle se précise, aboutit à une demande en bonne forme et les voilà pris dans les rouages de l’engagement, prêts à concilier le traditionnel et le réaliste. Quelques voix s’élèvent un peu quand il les informa que la célébration allait avoir lieu à la municipalité, pas chez soi comme il est de rigueur dans cette société djerbienne qui tient à ses habitudes, mais le calme revient quand ils comprennent qu’il ne peut faire autrement. De fait, le contrat à la municipalité facilite l’obtention du même document en français... car Hédia va évidemment suivre Youssef en France.
Une manière de la faire revivre
L’arrangement est double puisque la célébration traditionnelle aura lieu l’été d’après, et ce sera le moment où les deux époux pourront enfin s’isoler. Jusqu’alors, ils devront se contenter des lettres et des appels téléphoniques. De longs mois qui serviront à mener toutes sortes de démarches administratives et à arranger le futur foyer mais, par-delà l’aspect pratique, c’est peut-être ce délai qui marquera à jamais cette union du sceau de l’unique, du précieux, du pérenne. Youssef Chahed relate honnêtement d’innombrables faits qui convergent pour signifier que leur vie ensemble n’était pas exempte de ces soubresauts que connaissent tous les couples mais que le caractère de l’héroïne, de plus en plus affirmé, gagna le coeur de tous. Un dosage saisissant de personnalité, de compassion, de bon sens et d’autres ingrédients. La permanence, au plus profond d’elle-même, de l’être djerbien soucieux des autres, comme l’illustre si bien l’histoire incroyable de l’homme que sa famille n’a plus revu, n’a plus aucune nouvelle de lui depuis une quinzaine d’années. Ce souci des autres, c’est la promesse qu’elle fit sa femme à Djerba quand elle s’y rendit pour assister à un mariage. Avec l’aide de son époux elle la tint. Youssef Chahed clôture ainsi sa trilogie des Feuillets d’un immigré avec ce récit singulièrement poignant tourné vers cette épouse adorée qui s’éteignit trop tôt, et qui, après les premiers moments de désarroi fut sans doute le premier levier qui l’incita à écrire, non seulement pour laisser une trace à ses enfants et à leurs enfants comme il le dit lui-même, mais également comme une manière de revivre chaque instant passé à ses côtés, une manière de la faire revivre.