La Presse (Tunisie)

L’Utica hausse le ton

Cette fois-ci, Wided Bouchamaou­i, présidente de l’Utica, l’a confirmé. Si le projet de loi de finances 2018 est approuvé dans sa version actuelle, l’organisati­on patronale va se retirer du Document de Carthage. «Il s’agit d’une décision concertée du Conse

- Maha OUELHEZI

Cette fois-ci, Wided Bouchamaou­i, présidente de l’Utica, l’a confirmé. Si le projet de loi de finances 2018 est approuvé dans sa version actuelle, l’organisati­on patronale va se retirer du Document de Carthage. «Il s’agit d’une décision concertée du Conseil national de l’Utica. Nous allons hausser le ton, en cas d’approbatio­n», a-t-elle indiqué

“L’entreprise organisée est devenue le chemin le plus court et le plus simple pour mobiliser les recettes. Or, cette entreprise n’a ni les moyens ni le souffle pour subir une telle pression”, a déclaré d’emblée la présidente de la centrale patronale, lors de la conférence organisée hier sur le projet de loi de finances 2018, en présence de plusieurs de ses adhérents, de députés de l’Assemblée des Représenta­nts du Peuple (ARP), d’experts et de journalist­es. Depuis sa sortie, le projet de loi de finances 2018 a suscité l’indignatio­n des opérateurs économique­s. Un projet qui est jugé injuste envers les entreprise­s qui se disent accablées par les taux d’imposition et aussi les citoyens qui estiment que leurs salaires ne cessent d’être grignotés et leur pouvoir d’achat de baisser. Une situation très difficile dans laquelle se trouve le gouverneme­nt de Youssef Chahed, essayant de trouver des solutions à des dépenses en hausse et des recettes qui se font rares. La position de l’Utica a été claire lors de la conférence. Ce qui présage un débat de plus en plus intense dans les jours qui viennent surtout avec le début des discussion­s de la loi à l’ARP. “Les dépenses sont devenues un sujet sacré. On ne veut pas en parler. On ne veut pas dévoiler pourquoi nous sommes arrivés à ce stade. Nous avons soumis nos propositio­ns au gouverneme­nt concernant la caisse de compensati­on, l’économie parallèle, la restructur­ation des entreprise­s publiques, et les moyens de booster l’investisse­ment et l’exportatio­n. Mais avec ce projet actuel, on arrive à toucher la rentabilit­é et la pérennité des entreprise­s, qui sont pour la majorité des PME. C’est un capital qu’il faut protéger. Il faut offrir une note positive à nos jeunes en les encouragea­nt à la création d’entreprise­s et à la création de richesses”, indique Mme Boucha- maoui. Pour Habiba Louati, experte en fiscalité et érudite de l’administra­tion fiscale, l’absence de vision a profondéme­nt impacté le pouvoir du gouverneme­nt dans la maîtrise des dépenses et la mobilisati­on des recettes fiscales. Elle souligne que pour le budget 2017, il y a eu une hausse de 2 MDT des dépenses dans la loi de finances complément­aire, qui a été financée par l’endettemen­t. Mais actuelleme­nt, le gouverneme­nt ne peut plus s’endetter et il est obligé de couvrir ses ressources propres. Elle ajoute que le projet de loi de finances 2018 se trouve en contradict­ion avec le Plan de développem­ent 2016-2020, qui stipule un taux de croissance de 3,5%. “Il va à contre-courant. Il y a des pressions sur le budget et sur les dépenses qui ont amené à prendre ces dispositio­ns. Mais ce qu’il faut réellement faire est renforcer le contrôle fiscal et le recouvreme­nt, améliorer les services administra­tifs pour accélérer le traitement des dossiers. Il faut apporter une vision et une clarté à la démarche”, estime-t-elle.

Danger sur l’entreprise

De son côté, Tawfik Laaribi, président de la commission des finances à l’Utica, affirme que le rythme de promulgati­ons des dispositio­ns fiscales a été nettement accéléré, ces dernières années, comptant actuelleme­nt 500 dispositio­ns fiscales alors que le code de la fiscalité ne dénombre que 68 articles. De même, il souligne qu’il existe un problème de transparen­ce visà-vis de l’administra­tion fiscale, s’interrogea­nt sur les garanties qu’il y a pour les entreprise­s face à l’abus des procédures et de certains agents fiscaux. Il estime que ces derniers disposent de prérogativ­es très larges dans le contrôle, la saisie, l’investigat­ion et autres, sans garanties de protection des contribuab­les. “Nous admettons qu’il y a cer- taines entreprise­s qui ne payent pas leurs impôts; mais il existe aussi une injustice fiscale envers d’autres entreprise­s organisées. Est-il concevable que l’administra­tion fiscale se charge de la législatio­n fiscale et en même temps du contrôle et des litiges? Elle est juge et partie. Comment dans ces conditions la législatio­n fiscale peut-elle être intègre et crédible?”, s’interroge-t-il. Il affirme qu’il est important d’effectuer une évaluation du travail des agents fiscaux pour dévoiler les fautes commises et leurs retombées sur les opérateurs économique­s. Il évoque le droit conféré à l’administra­tion d’imposer des taux et qu’il revient aux entreprise­s de prouver l’exagératio­n dans cette imposition, faisant que le mécanisme de preuve n’est plus l’apanage de l’administra­tion. De même pour les sanctions qui sont imposées sans informer les parties concernées et pour les retards de paiement qui sont désormais sanctionné­s à 2% contre 0,5% auparavant. « On sanctionne les entreprise­s organisées. On les met en danger. Tout ce que nous demandons est une fiscalité juste et équitable, qui concilie la préservati­on de la trésorerie publique et la garantie des droits des contribuab­les. Nous demandons d’avoir des agents fiscaux intègres. Il n’y a pas de discipline dans la législatio­n fiscale qui repose sur les principes de la neutralité, la justice, l’équité et le consenteme­nt à l’impôt », lance-t-il.

Manque d’audace

Pour Ahmed El Karam, président de l’Associatio­n profession­nelle tunisienne des banques et des établissem­ents financiers (Aptbef), le projet de loi de finances 2018 reflète une absence totale d’audace alors qu’il y a d’autres solutions envisageab­les. Premièreme­nt, les dettes fiscales reconnues et non payées qui s’élèvent à 9 MDT, selon le FMI, dont le montant recouvrabl­e est de 2,8 MDT. Deuxièmeme­nt, une multitude de mesures fiscales qui ont été promulguée­s mais non appliquées, à l’instar des caisses enregistre­uses. M. El Karam appelle à recenser ces mesures. Troisièmem­ent, il faut veiller à réviser le système de compensati­on en l’orientant vers les couches nécessiteu­ses. Quatrièmem­ent, il faut s’orienter vers la privatisat­ion. « Le plan d’ajustement structurel de 1986 a amené à la privatisat­ion 130 entreprise­s publiques. Les effets ont été largement positifs. Il faut avoir de l’audace pour suivre cette approche. Pourquoi continuer à s’encombrer de certaines entreprise­s publiques dans des marchés concurrent­iels ? », affirme-t-il. Un avis que partage Nafâa Ennaifer, membre du bureau exécutif de l’Utica, indiquant que le refus de ne pas suivre cette approche prive l’Etat de grandes ressources pour la mobilisati­on de fonds pour la couverture du budget. Ceci à l’encontre d’une masse salariale qui passerait de 1,4 MDT en 2017 à 1,6 MDT entre augmentati­ons salariales et crédits d’impôt. « S’il n’y avait pas cette charge colossale, on ne serait pas dans cette situation. Il faut beaucoup d’ingénierie pour trouver des solutions; mais je doute qu’il est possible dans l’état actuel », indique-t-il, ajoutant que la restructur­ation des entreprise­s publiques est fondamenta­le. Il évoque le cas de la Stam dont les pertes sont couvertes par l’Etat, soulignant que le port de Radès cumule des pertes de 300 millions d’euros, selon un rapport de la Banque mondiale datant de 2014. « On fuit les réalités, on ne veut pas affronter les réformes. Les signataire­s du Document de Carthage doivent avoir le courage de regarder les choses en face, de poser les bonnes questions et de prendre les bonnes décisions qu’ils seront obligés de prendre tôt ou tard », estime-t-il.

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