Le torchon brûle
L’Utica brandit la menace d’une grève générale du secteur privé si le gouvernement ne révise pas le projet de loi de finances 2018
«Nous avons demandé au gouvernement de nous livrer la liste détaillée des produits importés qui seront surtaxés dans le cadre de la loi de finances 2018. Malheureusement, il ne nous a fourni jusqu’à présent aucune réponse et même les déclarations médiatiques du ministre du Commerce sont floues et ne rassurent, en aucune manière, les importateurs qui ne savent plus s’ils vont honorer leurs contrats déjà signés avec leurs fournisseurs ou s’ils vont les résilier». Ainsi parlait Wided Bouchamaoui, présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) en exprimant, à la fin de la semaine écoulée l’opposition de l’organisation patronale aux dispositions contenues dans le projet de loi de finances 2018 visant à réduire le déficit de la balance commerciale qui connaît une progression fulgurante du fait de la prolifération de plus en plus inquiétante de l’importation de produits de luxe dont la majorité écrasante des Tunisiens n’ont pas besoin», comme le précisent les concepteurs de la loi de finances en question. «Le volume de l’importation a progressé de 18%, entraînant 12 milliards de dinars dans le budget général de l’Etat, d’où la nécessité impérieuse de mettre un terme aux importations superflues», argumente-t-on du côté de la Banque centrale. A la cité El Khadhra, du côté de l’Utica, les importateurs soutenus par la présidente de l’organisation patronale ne partagent pas l’approche développée par le ministre du Commerce qui considère que «la pression sur les importations dites de luxe ou d’apparat peuvent faire gagner à l’Etat 8.800 millions de dinars, soit 22% du volume global des importations estimées à 40 milliards de dinars». Et Wided Bouchamaoui est allée jusqu’à déclarer que l’Utica «quittera l’accord de Carthage au cas où certaines dispositions de la loi de finances ne seraient pas annulées». Elle estime que ces dispositions «pénalisent l’entreprise nationale et sanctionnent ceux qui travaillent, produisent et procurent de l’emploi aux Tunisiens, alors que les barons du commerce parallèle continuent à sévir et que rien n’est programmé pour les empêcher d’asphyxier définitivement les entreprises nationales». Hier, la présidente de l’Utica est allée encore plus loin en déclarant que le secteur privé observera une grève générale au cas où le gouvernement ne donnerait pas satisfaction aux revendications des importateurs. S’agit-il d’un acte de fuite en avant qui pourrait faire sauter le gouvernement d’union nationale où l’Utica est partie prenante aux côtés de l’Ugtt dont le secrétaire général, Noureddine Taboubi, ne cesse de répéter que les syndicalistes sont prêts à consentir les sacri- fices qu’il faut pour faire relancer la machine économique nationale mais à condition que ces sacrifices soient équitablement partagés entre toutes les couches sociales et que les professionnels de la fraude fiscale soient sévèrement sanctionnés et rendent à l’Etat son argent. La menace brandie par la femme de fer de la cité El Khadhra et viceprésidente du Conseil européen pour la paix et le développement participe-t-elle d’un calcul électoral dans la mesure où la centrale patronale se prépare à tenir son congrès national dans les prochaines semaines et que Wided Bouchamaoui, la lauréate du prix Nobel de paix 2015, veut poursuivre la gestion de l’Utica et considère qu’elle a encore un rôle à jouer au cours des cinq prochaines années quand les milliards d’euros promis par l’UE et les pays du Golfe arabe lors de «Tunisia 2020» atterriront dans les caisses de l’Etat. Les experts interrogés par La Presse disent que «le torchon ne brûle pas pour le moment entre le gouvernement et l’Utica sauf que les termes employés dans la déclaration du dernier conseil administratif de l’organisation patronale ne relèvent pas de la rhétorique habituelle de l’Utica». Ils ajoutent : «Le discours des menaces a déjà produit ses effets avec l’Ugtt. Pourquoi l’Utica n’y recourrait-elle pas ?».