La Presse (Tunisie)

Contrepoid­s au couple Ennahdha-Nida ?

Hassouna Nasfi : «En dehors des murs du Parlement, ce front n’aura pas une existence. Notre objectif premier est de veiller à la stabilité politique du pays»

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Dès lundi prochain, le paysage parlementa­ire et peut-être même politique pourrait changer de visage avec la tenue de l’assemblée générale constituti­ve de ce que les 43 députés qui le composent appellent «le front parlementa­ire centriste et progressis­te». Il ne s’agira vraisembla­blement pas d’un groupe parlementa­ire à part entière, mais d’un «groupe de pression» qui aura son mot à dire sur les projets de loi actuelleme­nt en discussion. Le front brasse large et regroupe des élus de Machrou Tounès, Afek Tounès, le Groupe national, des indépendan­ts, mais également 7 élus de Nida Tounès. Leur objectif déclaré : constituer un contrepoid­s à l’intérieur de l’ARP face au couple Ennahdha-Nida. Le profil des députés qui ont choisi de rejoindre ce nouveau front parlementa­ire met en exergue des pragmatiqu­es qui ont toujours critiqué l’immobilism­e des gouverneme­nts successifs sur certains dossiers, notamment économique­s, et ont souvent déploré la lenteur des réformes, à l’instar de Karim Helali (Afek Tounès) ou encore Khaoula Ben Aïcha (Machrou Tounès). Clairement, dans un communiqué rendu public jeudi dernier, ces députés annoncent la couleur et revendique­nt une volonté d’accélérer l’examen et le vote des projets de loi en instance, mais aussi de booster les réformes, tout en se portant volontaire­s pour soutenir, sans le nommer, le chef du gouverneme­nt Youssef Chahed, dans sa lutte contre la corruption. La lecture des noms des élus «membres» de ce front montre que plusieurs d’entre eux sont connus pour leurs positions hostiles envers le parti Ennahdha, qu’ils qualifient encore d’islamiste. Certains ont déjà quitté Nida Tounès, entre autres en raison du rapprochem­ent entre le parti fondé par le président de la République et le rival d’antan, Ennahdha, comme Leïla Chettaoui.

d’antan, Ennahdha, comme Leïla Chettaoui. D’autres n’ont pas quitté «’arche de Noé», mais critiquent de l’intérieur et voient d’un très mauvais oeil, l’alliance de Nida avec Ennahdha, à l’instar de Ons Hattab, très critique envers le parti présidé par Rached Ghannouchi. Aux côtés de ceux-là, c’est le groupe parlementa­ire composé de 8 élus, celui du bloc national qui appuie Youssef Chahed au Parlement. Si ce front réussit son coup, Youssef Chahed pourra bien en tirer profit et s’émanciper en déplaçant le curseur de Carthage à La Kasbah. La liste reste ouverte, et d’autres élus (ceux qui attendent que ça marche) pourraient rejoindre l’initiative et éroder un peu plus le parti vainqueur des élections que Boujomaa Rémili, l’ex-dirigeant du parti (parti à la retraite politique), décrit comme n’étant plus que «l’ombre de lui-même». Si ce front voit le jour et prouve sa solidité, notamment au sujet de la loi de finances 2018, Ennahdha et Nida auront tout à craindre. «Actuelleme­nt, ils s’activent pour étouffer cette initiative dans l’oeuf», nous confie Nejia Ben Abdelhafid­h (Bloc national). « Pour l’instant, il n’est pas possible de neutralise­r complèteme­nt Ennahdha, car il reste majoritair­e à l’hémicycle avec Nida Tounès, explique- t- elle, mais si d’autres députés nous rejoignent comme ceux de l’UPL, il est possible de renverser la donne». Mais pour Hassouna Nasfi (Machrou Tounès), il est important de préciser que le Front s’inscrit en dehors de toute logique partisane. «En dehors des murs du parlement, ce Front n’aura pas une existence, précise-t-il. Notre objectif premier est de veiller à la stabilité politique du pays». Selon lui, la Tunisie a trop souffert des changement­s de gouverneme­nt et il serait temps de stabiliser la situation, en soutenant le gouverneme­nt actuel. Pour ce qui est de l’équilibre du pouvoir entre la présidence du gouverneme­nt et la présidence de la République, Hassouna Nasfi estime que le Front parlementa­ire n’a pas vocation à se positionne­r dans une quelconque guerre de pouvoir. “Pour nous, il est évident que le consensus entre Ennahdha et Nida a prouvé son échec, nous dit-il. Il nous fallait donc nous réunir en tant que centristes progressis­tes pour tenter de réparer les choses et permettre au gouverneme­nt d’être plus efficace.

Inversion de la pyramide des pouvoirs

Du même groupe parlementa­ire, Leïla Chettaoui, connue pour ses positions hostiles au mouvement Ennahdha, pense que le soutien au gouverneme­nt Chahed n’est pas forcément un soutien à la personne de Youssef Chahed. “Lorsque nous parlons d’appui à la lutte contre la corruption, à l’accélérati­on des réformes, il s’agit principale­ment de constituer un Front transversa­l qui puisse neutralise­r la dictature du couple Ennahdha-Nidaa”, indique Leila Chettaoui. Elle estime notamment qu’à propos de la loi de finances, Nida Tounès se comporte quasiment comme un parti d’opposition. «Ce qui me choque aujourd’hui, c’est l’inversion de la pyramide Etat-régime politique-partis, regrette-t-elle. Les partis sont installés en haut de la pyramide». Faisant partie des députés de Nida Tounès dont le nom figure dans la liste des 43, Wafa Makhlouf, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. “J’attends la réunion de lundi, dans laquelle il y aura un franc dialogue et qui nous permettra de mieux comprendre nos orientatio­ns”, s’est-elle contentée de dire. Depuis quelque temps, les initiative­s politiques se multiplien­t et le paysage politique est en pleine recomposit­ion. Mais comme les mariages, les divorces également se multiplien­t. Rien n’est donc acquis pour le groupe des 43.

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