Subtil et intelligent…
Mohamed Siam est un réalisateur indépendant et engagé. Dans ses documentaires et ses films de fiction, il traite toujours des thèmes nationaux et internationaux de grand intérêt
Mohamed Siam, réalisateur du documentaire « Balad mine?» ou «Force majeure», le titre français, était présent jeudi dernier lors de la projection de son film sorti en 2016 et qui lui tient à coeur. Forcément, parce qu’il traite d’une histoire nationale mais aussi parce que Mohamed Siam est fils d’un ancien enquêteur de police à Alexandrie. «J’ai choisi de travailler sur ce sujet car personne n’en parle en Egypte. C’est interdit. Mon film y est interdit» . En fait, la Tunisie est le premier pays arabe à avoir accueilli le film de Siam dans le cadre des Journées cinématographiques de Carthage. Chose qui lui fait énormément plaisir. Mohamed Siam est un réalisateur indépendant et engagé. Dans ses documentaires et ses films de fiction, il traite toujours des thèmes nationaux et internationaux de grand intérêt. Avant de s’engager au cinéma, Siam a fait des études de psychologie, ce qui a conféré à ses documentaires un côté intimiste, analytique et profond, très remarquable d’ailleurs dans Force majeure, particulièrement lors de ses entretiens avec les personnages. Plusieurs de ses films ont été sélectionnés dans de grands festivals internationaux tels que le Festival du film arabe Alfilm de Berlin, Napoli Film Festival d’Italie, l’Off-Courts en France et aux Rencontres de l’Image en Egypte. Il a étudié au Berlinale Talent Cam- pus et a pu participer au Studio Edition Campus avec son projet de long-métrage sur lequel il a travaillé avec le célèbre Molly Marlene Stensgaard, le monteur de Lars Von Trier. Rappelons, aussi, que Mohamed Siam est le fondateur et directeur artistique du centre cinématographique Artkhana à Alexandrie, un espace artistique reconnu, qui subvient aux besoins techniques et éducatifs des réalisateurs dans les domaines de l’animation, des médias et des arts visuels. De plus, il est membre du conseil d’administration et vice-président de Arterial Network dont le but est de promouvoir l’art et la culture sur le continent africain. «Est-ce le pays du peuple, du policier, des Frères musulmans ou de l’armée?». Dans son documentaire «Force majeure», Siam a choisi de se focaliser sur la police d’un pays qui a vécu une succession de régimes militaires. «J’ai suivi un policier pendant trois ans. Au début du film, il venait de quitter la police car il a eu une prise de conscience des dérives des comportements policiers et militaires de manière générale». Puis, en 2011, arrive la révolution. «Pour tout le monde, c’était l’espoir du changement. Il s’est réengagé car il y a cru. Mais les violences policières sont toujours présentes. A la fin du film, après la prise du pouvoir par les Frères musulmans, puis le coup d’Etat par les mili- taires, ce policier finit par préférer le retour à un gouvernement dirigé par l’Armée. Après le passage des extrémistes Frères musulmans, les Égyptiens ont le sentiment d’être plus en sécurité avec les militaires, même si les violences sont toujours là…» , confirme-t-il. C’est un documentaire intimiste, intelligent et équilibré suivant le cheminement de l’après-révolution de 2011 du point de vue d’Abou Habiba, un policier en civil, père de famille dévoué, qui s’interroge sur son métier, sur la révolution et change d’avis en fonction de l’évolution de la politique du pays. Pendant trois ans, Mohamed Siam suit la vie quotidienne de ce policier, chez lui avec ses enfants, la nuit lors des gardes, les soirées avec ses collègues devant la télévision et les événements qu’elle retrace. Il recueille les témoignages et les confidences du policier et de ses collègues. Abou Habiba lui avoue alors les divers dépassements commis par les policiers et les forces de sécurité, les abus et les divers moyens de torture qu’ils exerçaient sur les civils pendant la période prérévolutionnaire, justifiant ces actes par les mauvaises conditions de travail des policiers et leurs misérables salaires. Le réalisateur, lui, même si on ne le voit jamais, on l’entend à travers son dialogue avec les protagonistes ou lors de son commentaire en voix-off. Il brosse ainsi un tableau intime, juste et fascinant de ce que la révolution a signifié pour ces «représentants de l’ordre et de la sécurité». On y scrute les images désormais célèbres de la place Ettahrir envahie par la foule, poings et drapeaux levés, ou encore le visage défait de Moubarak derrière les barreaux. Le film montre comment les convictions du policier Abou Habiba s‘érodent avec le temps et les changements politiques : le renversement politique de Moubarak, la campagne électorale, la montée des Frères musulmans, l’éviction de Mohamed Morsi suite aux manifestations populaires nonstop et le coup d’Etat de Abelfattah Sissi. Le policier est le centre de gravité du film, il est au coeur de l’attention du documentariste. Observé à son échelle, la révolution s’apparente davantage à un processus qu’à un événement. Inscrite comme une expérience personnelle, elle est filmée comme un cheminement semé de peur, d’hésitations, de retours en arrière et de redécouverte d’un nouveau langage. Le réalisateur, tout en sondant les émotions d’Abou Habiba, n’oublie pas de révéler les siennes. A la fin du film, le réalisateur nous montre qu’après le passage des extrémistes Frères musulmans, les Egyptiens ont le sentiment d’être plus en sécurité avec les militaires, même si les violences sont toujours là !