Chronique des années de départ clandestin
Un réalisateur doit-il s’impliquer outre mesure dans l’organisation de l’avenir d’un exilé clandestin ? C’est la question que se pose Jakob Preuss dans un documentaire tourné avec toute la délicatesse d’un humaniste.
Le documentaire allemand signé Jakob Preuss « Quand Paul traversa la mer» , présenté avanthier aux JCC, est une chronique d’une rencontre à l’issue inattendue entre un réalisateur européen et un Camerounais de trente ans fuyant l’Afrique subsaharienne vers l’Europe. Etonnante la rencontre ? Jakob Preuss le dit dès le début du film : «Je ne sais pas si j’ai choisi Paul ou si c’est lui qui m’a choisi ». Lui, Jakob Preuss est né à Berlin. Adolescent, il a vécu en 1989 la chute du mur séparant les deux Allemagnes comme une libération de frontières improbables. Il continue à travailler sur ces constructions qui séparent des territoires géographiques proches. Auparavant étudiant en droit, Paul Nkamani est expulsé de son université à cause de ses activités syndicales. Il quitte son pays et arrive sur la côte marocaine après une longue et dangereuse traversée du désert. C’est là que Paul croise le chemin du documentariste Jakob Preuss en repérage pour un nouveau projet le long des frontières extérieures de l’Union européenne. L’Allemand décide alors d’humaniser son sujet en mettant en avant l’histoire du jeune Africain dans une sorte de journal des rêves d’un futur réfugié. Il suivra son quotidien dans le campement de fortune à Melilla où il attend avec ses compagnons le passeur qui les ramènera en Espagne : «Je n’aurais jamais pensé trouver des personnes avec qui philosopher dans un tel endroit» , témoigne le réalisateur, qui commente au long de son film, structuré par le passage du temps, les événements. Tout en cédant la première place à la parole de ce nouveau compagnon, pour qui il ressent beaucoup de respect. Il repérera par la suite via Internet sa périlleuse traversée de la Méditerranée où le Camerounais perd la moitié de ses compagnons, puis filmera son parcours du combattant pour décrocher un statut d’exilé économique…en Allemagne. Ainsi quand Paul décide, à cause de la crise économique en Europe du sud, de continuer son chemin vers l’Allemagne, Jakob doit se décider. Doit-il aider Paul activement dans sa quête d’une vie meilleure ou doit-il rester dans le rôle du documentariste qui observe à distance ? «Organiser l’avenir de Paul est une autre affaire !» , s’interroge-t-il dans le film. Une affaire dans laquelle il s’embarque pleinement pourtant en mettant (à Berlin) ses parents dans le coup. Le jeune homme est hébergé dans la maison de Jakob, dont le père paye des cours de langue au jeune homme. Résultat : Paul, après plus de quatre années de son départ du Cameroun, est toujours expulsable malgré sa maîtrise de la langue allemande aujourd’hui et sa volonté évidente d’intégration par l’apprentissage d’un métier. Le sort du réalisateur et de l’immigré n’ont jamais été aussi intimement liés. Un témoignage plein de vérité, puissant et imbibé du regard d’un humaniste sur un sujet qui continue à défrayer l’actualité du monde.