La liberté d’expression consacrée
La rencontre qui a eu lieu hier au Palais de Carthage entre une délégation du Syndicat national des journalistes et le président de la République, à l’initiative de ce dernier, est un événement dont on se félicite. Elle met un terme à un état, sinon de colère, du moins d’incompréhension de la part des journalistes. Les agissements dénoncés de violence et d’intimidation, tels qu’ils ont été constatés et subis par nombre de nos confrères, ont été clairement condamnés par le chef de l’Etat, qui a réaffirmé que la liberté d’expression est un acquis de la transition démocratique sur lequel il n’est pas question de revenir...
Ces propos étaient attendus. Ils signifient que, quels que soient les débordements ou les égarements dont se rendent coupables quelquesuns dans l’exercice de leur travail de maintien de l’ordre, la mission du journaliste d’informer et d’éclairer le citoyen reste une mission éminente et sacrée, non seulement pour ceux et celles qui s’en acquittent, mais aussi pour l’Etat lui-même, quoi qu’il lui en coûte parfois... Une démocratie doit savoir supporter le regard critique et sans concession d’une presse libre, même quand ce regard se laisse entraîner dans un certain excès — que nous n’encourageons pas !
Il appartient bien sûr à la profession des journalistes de veiller à ce que son indépendance ne rime pas nécessairement avec vaine outrecuidance et qu’elle ne soit pas confondue non plus avec perte des repères entre ce que permet la loi et ce qu’elle ne permet pas. Peut-être bien que des progrès sont à faire en cette matière ! Et pourquoi n’y en aurait-il pas, puisque la tradition d’une presse libre est une tradition qui est encore en phase de construction sous nos cieux ? Mais prendre prétexte de certains écarts, réels ou supposés — et souvent seulement supposés — pour redonner libre cours aux mauvais réflexes des temps anciens, puis pousser l’audace en appuyant ces mauvais réflexes d’une rhétorique glauque et nauséabonde, voilà ce devant quoi il ne fallait pas se taire. Et, là aussi, il était bon que les journalistes tunisiens expriment sans ambiguïté leur refus. On notera avec satisfaction qu’ils n’ont pas été seuls dans leur indignation : des voix ont fait écho en provenance des organisations les plus importantes de la société civile. Elles étaient mues par un souci de solidarité, mais conscientes aussi que ce qui était en cause ne concernait pas seulement les journalistes : la liberté d’expression est un acquis de tous en ce pays !
Il est certain que chaque fois que l’on assistera à des moments de trouble dans le pays, la gestion sécuritaire de la situation — qui est inévitable et qui a ses contraintes propres — donnera lieu à des frictions. On n’en fera pas l’économie. Mais on peut espérer qu’entre les forces de sécurité et les journalistes, qu’ils soient d’ailleurs tunisiens ou étrangers, la règle du jeu soit que chacun fasse son travail dans le respect du travail de l’autre. Ce serait d’ailleurs faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que, depuis la période qui précède la révolution, rien n’a changé... Mais ce serait également faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que les démons de cette période ont tous été vaincus. La bonne nouvelle, c’est que chaque fois que ces démons tenteront de ressusciter leur bon vieux temps, ils découvriront avec encore plus d’effroi que les temps ont décidément changé.
Ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que, depuis la période qui précède la révolution, rien n’a changé... Mais ce serait également faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que les démons de cette période ont tous été vaincus