La Presse (Tunisie)

La liberté d’expression consacrée

- Par Raouf SEDDIK

La rencontre qui a eu lieu hier au Palais de Carthage entre une délégation du Syndicat national des journalist­es et le président de la République, à l’initiative de ce dernier, est un événement dont on se félicite. Elle met un terme à un état, sinon de colère, du moins d’incompréhe­nsion de la part des journalist­es. Les agissement­s dénoncés de violence et d’intimidati­on, tels qu’ils ont été constatés et subis par nombre de nos confrères, ont été clairement condamnés par le chef de l’Etat, qui a réaffirmé que la liberté d’expression est un acquis de la transition démocratiq­ue sur lequel il n’est pas question de revenir...

Ces propos étaient attendus. Ils signifient que, quels que soient les débordemen­ts ou les égarements dont se rendent coupables quelquesun­s dans l’exercice de leur travail de maintien de l’ordre, la mission du journalist­e d’informer et d’éclairer le citoyen reste une mission éminente et sacrée, non seulement pour ceux et celles qui s’en acquittent, mais aussi pour l’Etat lui-même, quoi qu’il lui en coûte parfois... Une démocratie doit savoir supporter le regard critique et sans concession d’une presse libre, même quand ce regard se laisse entraîner dans un certain excès — que nous n’encourageo­ns pas !

Il appartient bien sûr à la profession des journalist­es de veiller à ce que son indépendan­ce ne rime pas nécessaire­ment avec vaine outrecuida­nce et qu’elle ne soit pas confondue non plus avec perte des repères entre ce que permet la loi et ce qu’elle ne permet pas. Peut-être bien que des progrès sont à faire en cette matière ! Et pourquoi n’y en aurait-il pas, puisque la tradition d’une presse libre est une tradition qui est encore en phase de constructi­on sous nos cieux ? Mais prendre prétexte de certains écarts, réels ou supposés — et souvent seulement supposés — pour redonner libre cours aux mauvais réflexes des temps anciens, puis pousser l’audace en appuyant ces mauvais réflexes d’une rhétorique glauque et nauséabond­e, voilà ce devant quoi il ne fallait pas se taire. Et, là aussi, il était bon que les journalist­es tunisiens expriment sans ambiguïté leur refus. On notera avec satisfacti­on qu’ils n’ont pas été seuls dans leur indignatio­n : des voix ont fait écho en provenance des organisati­ons les plus importante­s de la société civile. Elles étaient mues par un souci de solidarité, mais consciente­s aussi que ce qui était en cause ne concernait pas seulement les journalist­es : la liberté d’expression est un acquis de tous en ce pays !

Il est certain que chaque fois que l’on assistera à des moments de trouble dans le pays, la gestion sécuritair­e de la situation — qui est inévitable et qui a ses contrainte­s propres — donnera lieu à des frictions. On n’en fera pas l’économie. Mais on peut espérer qu’entre les forces de sécurité et les journalist­es, qu’ils soient d’ailleurs tunisiens ou étrangers, la règle du jeu soit que chacun fasse son travail dans le respect du travail de l’autre. Ce serait d’ailleurs faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que, depuis la période qui précède la révolution, rien n’a changé... Mais ce serait également faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que les démons de cette période ont tous été vaincus. La bonne nouvelle, c’est que chaque fois que ces démons tenteront de ressuscite­r leur bon vieux temps, ils découvriro­nt avec encore plus d’effroi que les temps ont décidément changé.

Ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que, depuis la période qui précède la révolution, rien n’a changé... Mais ce serait également faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que les démons de cette période ont tous été vaincus

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