La Presse (Tunisie)

Quand l’Etat persiste à se dérober à ses responsabi­lités

- Par Mohamed Meddeb* M.M. *Général de brigade(r), Armée nationale

Lors du soulèvemen­t populaire 2010/2011,dans un climat de forte insécurité et de confusion totale, l’armée a dû se déployer dans les espaces publics pour contribuer au maintien de l’ordre, certaines formations militaires ont reçu alors l’ordre de protéger certains sites et points sensibles. Lors de ces missions, ces militaires se sont souvent trouvés face à des éléments suspects, refusant généraleme­nt d’obtempérer aux sommations réglementa­ires. Ainsi, ils ont dû, dans certains cas, faire usage de leurs armes, ce qui a été à l’origine de blessures et de très rares victimes qui, peut-être sans s’en rendre compte, par leurs comporteme­nts suspects, se sont fait attirer les feux des soldats. Ainsi, ces militaires, en service commandé, agissant au nom de l’Etat pour l’intérêt général, en conformité aux ordres reçus et conforméme­nt au règlement et procédures militaires en vigueur, se sont trouvés accusés, selon le cas, d’homicide et d’autres accusation­s aussi graves les unes que les autres. Ces mêmes soldats, depuis janvier 2011, affrontent seuls leur destin face à la justice, absolument tels des criminels de droit commun. A titre d’exemple, un homme du rang, un sous-officier et un officier supérieur, impliqués dans une même affaire, se trouvent depuis sept ans, malmenés entre le Tribunal de première instance, la Cour de cassation et de nouveau, dans quelques jours, et pour la troisième fois devant la Cour d’appel ; et ils ne sont toujours pas au bout de leur peine, car ils restent, Dieu seul sait pour combien de temps encore, sous la menace de lourdes sentences. Certes, il faut rendre justice aux victimes et que chacun assume la responsabi­lité de ses décisions et les conséquenc­es de ses actes, mais il ne faut surtout pas se tromper de responsabl­es. Dans le cas d’espèce, d’abord il ne s’agit nullement d’une infraction de droit commun, les acteurs sont des agents de l’Etat d’un statut très particulie­r, des militaires formés et équipés pour agir au nom de l’Etat dans un esprit de discipline la plus rigoureuse. Alors qui assume la responsabi­lité des conséquenc­es de leurs actes, eux-mêmes conséquenc­es des ordres reçus, si jamais il y a bavures et victimes ? • Est-il juste de responsabi­liser le

militaire en mission commandée des conséquenc­es de l’applicatio­n des ordres reçus de ses chefs ? Les militaires en question ont été d’abord condamnés, en première instance puis en appel selon les articles 217 et 225 du code pénal, tels des criminels de droit commun, c’est-à-dire sans aucune considérat­ion de leur statut de militaires en mission commandée. Les faits remontent au 15 janvier 2011 vers vingt et une heures du soir, soit quatre heures après l’entrée en vigueur du couvre-feu, ces militaires faisaient de leur mieux pour protéger la population de tout type d’agression et rétablir l’ordre public. Et en l’absence de textes juridiques spécifique­s aux situations «d’état d’urgence» et aux militaires dans les missions de maintien de l’ordre précisant la responsabi­lité de chacun, ces militaires se trouvent considérés, dès le départ du procès, comme de simples criminels de droit commun qui agissaient de leur propre initiative et pour leur propre compte. Et c’est ainsi que ces soldats se trouvent condamnés par le même code pénal, avec la très grave accusation d’homicide volontaire pour l’un, involontai­re pour le deuxième et de violence causant de graves préjudices corporels pour le troisième !

Seul le commandeme­nt militaire habilité à juger

Il est clair que la Cour n’a tenu aucunement compte de la qualité de «militaires» des concernés, et non plus du fait qu’ils agissaient au nom et pour le compte de l’Etat, sur ordre de leur commandeme­nt, conforméme­nt aux règlements et procédures militaires en vigueur, naturellem­ent avec l’obligation et le devoir d’obéir à leurs chefs et d’exécuter les ordres reçus sans aucune possibilit­é de s’y dérober. De ce fait, il aurait été impérieux de se demander sur les vrais responsabl­es des conséquenc­es de l’exécution des ordres reçus et sur la part de responsabi­lité de ces agents d’exécution, si jamais il leur en revenait une. La sagesse et la justice veulent qu’on ne peut être responsabl­e que de sa propre volonté de décision, ce qui présuppose la possibilit­é d’avoir au moins une alternativ­es, mais le militaire a-t-il cette liberté de choix, peut-il l’avoir même si on voulait la lui concéder ? Quelle armée aurions-nous si le soldat a légalement la latitude de décider de l’opportunit­é de l’exécution ou non des ordres reçus de ses chefs ? Soyons sérieux, la responsabi­lité des bavures et dégâts occasionné­s par l’accompliss­ement de telles missions commandées ne peut en aucun cas incomber aux agents d’exécution, ceux-ci n’agissaient ni de leur propre initiative ni pour leur propre compte et n’ont aucune latitude de refuser les instructio­ns reçues. Au contraire, on leur demande de bien mener à terme les missions dont ils sont chargés même à leurs risques et périls. En quoi donc consiste leur responsabi­lité quant aux éventuels dégâts occasionné­s durant l’accompliss­ement de ces missions commandées ? Faut-il aussi préciser que les faits reprochés par la justice à ces militaires n’ont jamais été condamnés ou réprouvés par leur haut commandeme­nt militaire, au contraire, ces trois militaires ont été promus au grade supérieur respectif et l’Officier supérieur, et pendant que le procès suit son cours, fut aussi nommé dans une haute fonction de direction, ce qui est loin d’être une punition ! Au vu de la nature de la question, seul le commandeme­nt militaire, ayant l’expertise et la compétence requises, est habilité à juger s’il y a infraction, crime, ou pas. D’ailleurs, je me demande pourquoi la Cour n’a, à aucun moment du procès, ordonné une enquête/expertise «technique» au commandeme­nt militaire pour qu’il l’éclaire sur l’éventuel irrespect des ordres, des procédures et règlements en vigueur, ce qui aurait engagé leur responsabi­lité. Pourtant, il s’agit d’une procédure d’usage courant, auquel la Justice a recourt dès qu’il s’agit d’une question nécessitan­t une certaine expertise, médicale, financière, technique ou autre. Encore une fois, il s’agit de soldats d’une armée régulière, gérée par des textes et des normes bien spécifique­s aux militaires, mais la Cour, dans ce procès, ne voit dans ces militaires que des criminels de droit commun ! Le comble, c’est qu’il s’agit de la justice militaire, supposée bien au fait des spécificit­és de l’institutio­n militaire ! • Exigences de discipline mili

taire et responsabi­lité personnell­e pénale du soldat, quelles bases juridiques ?:

Les procès intentés aux militaires en question sont atypiques à tout point de vue : les événements ont eu lieu dans des circonstan­ces exceptionn­elles, la nuit du 15/16 janvier 2011, alors que régnait l’anarchie totale. Par ailleurs, les accusés sont des soldats qui agissaient en exécution de missions ordonnées par leur chef hiérarchiq­ue, et sont soumis entre autres aux exigences de la discipline militaire et l’obligation de mener la mission à terme et ce quels que soient les sacrifices nécessaire­s. Ce sont là la discipline, l’obéissance, la mission et le sacrifice, des valeurs militaires fondamenta­les, indiscutab­les, qui font des militaires ce qu’ils sont. Des valeurs confirmées et valorisées lors de la formation et de l’instructio­n des militaires et par quasiment tous les textes juridiques et réglementa­ires militaires, en particulie­r :

Le maintien de l’ordre : une mission propre à la police

- Le code de justice militaire, qui dans ses articles 78 et 79 prévoit pour ceux qui désobéisse­nt les ordres, selon le cas, des punitions allant d’un mois à deux ans d’emprisonne­ment, ce, sans compter les sanctions disciplina­ires sévères qui peuvent être décidées par le commandeme­nt à l’encontre du militaire récalcitra­nt ; - les instructio­ns ministérie­lles, relatives à la discipline générale, N° 2223 du 23 janvier 2002, précisent dans l’article 19 intitulé «les devoirs et les responsabi­lités des subordonné­s» paragraphe (1), que «l’obéissance est le premier devoir du subordonné. Celui-ci exécute les ordres qu’il reçoit. Il est responsabl­e de leur exécution ou des conséquenc­es de leur nonexécuti­on…». Donc la responsabi­lité du militaire se limite à l’acte «d’exécution» même et non aux conséquenc­es de l’exécution ; par contre il reste entièremen­t responsabl­e des conséquenc­es de la non-exécution des ordres en question. Certes, c’est une question de nuances, dont les conséquenc­es sont de taille, ce qui ne doit échapper à personne. - Les textes réglementa­ires militaires, le code de justice militaire, les statuts général et particulie­r des militaires et les Instructio­ns ministérie­lles, relatives à la discipline générale et citées ci-dessus prévoient les cas de fautes et manquement­s commis en temps de paix et en temps de guerre ; mais ne prévoient rien pour les situations du cas d’espèce, le cadre du maintien de l’ordre public en «état d’urgence». D’ailleurs, il n’est fait nulle part, la moindre allusion aux situations d’interventi­on de militaires dans les opérations de maintien de l’ordre et en état d’urgence, et c’est une défaillanc­e juridique majeure de la part des autorités politiques et du commandeme­nt militaire, un manquement que payent chèrement depuis 2011 les militaires engagés dans ce cadre, et c’est une grande injustice; - A la seule exception des instructio­ns ministérie­lles relatives à la discipline générale (Art 18- parag. 3) où il est fait une seule fois référence à «la responsabi­lité pénale personnell­e», ces textes juridiques et réglementa­ires ne se réfèrent nullement à la responsabi­lité personnell­e pénale du militaire. Ceci s’était traduit dans les faits, il faut que l’institutio­n militaire le reconnaiss­e clairement et en assume la responsabi­lité, par le peu d’intérêt accordé à cette question de «responsabi­lité pénale personnell­e» du militaire dans les programmes de formation des différente­s écoles militaires. La culture militaire dominante dans l’Armée tunisienne veut que la discipline et l’exécution de la mission soient des valeurs militaires sacrées, en effet selon cette culture, le succès de la mission prime sur toute autre considérat­ion», oui là, c’est la réalité que l’Institutio­n militaire doit reconnaîtr­e et assumer les conséquenc­es qui en résultent. - La contributi­on de l’Armée dans les opérations de maintien de l’ordre, selon les mesures convenues depuis de longues années entre les deux institutio­ns, militaire et sécuritair­e, devait se limiter à remplacer les forces de sécurité intérieure dans la protection de certains points sensibles, locaux d’institutio­ns publiques et de représenta­tions diplomatiq­ues étrangères sur le sol tunisien. Au fait, il n’a jamais été, parce qu’il ne peut pas l’être, question de charger les militaires de missions de police, car ceux-là n’ont ni l’habilitati­on légale nécessaire «d’officiers ou d’agents de police judiciaire», ni la formation appropriée, ni l’équipement adéquat et nécessaire pour agir dans le respect des principes de «progressiv­ité et de proportion­nalité» requis dans les opérations de maintien de l’ordre. C’est pour cela, que le maintien de l’ordre reste une mission propre à la Police, légalement habilitée, formée et équipée pour. Ainsi les militaires n’ont pas du tout à se frotter à la foule et à traiter avec les civils. Cependant, lors des évènements 2010-2011 et particuliè­rement pendant la période entre janvier et fin mars 2011, les militaires se sont vus, dans pas mal de cas, assignés par leur Commandeme­nt la mission d’intercepte­r des éléments suspects, dangereux et armés ; d’où le risque d’éventuelle­s bavures qui pouvaient en résulter, mais a-t-on pensé un instant à qui incomberai­t la responsabi­lité de ces éventuelle­s bavures ? Eh bien, on l’a faite tout simplement supporter, au maillon le plus faible,aux soldats exécutants, ensuite, on les a abandonnés affronter seuls la justice, incriminés selon le Code pénal tels des criminels de droit commun. 3. Est-il concevable d’assimiler «un soldat en mission commandée»,à moins qu’un fonctionna­ire de l’Etat, pour le réduire à un simple criminel de droit commun ? Outre l’ignorance totale de la qualité de «militaires» des concernés,il reste difficile,dans cette affaire, d’expliquer et de situer les condamnati­ons de ces militaires au vu de l’article 42 du code pénal qui stipule que : «N’est pas punissable, celui qui a commis un fait en vertu d’une dispositio­n de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente» ? Mais Dieu seul sait, pourquoi MM les juges ont ignoré cet article dans ce cas ! Je ne veux pas croire, un seul instant, que ces soldats furent tout simplement et très injustemen­t sacrifiés aux profits d’un bras de fer entre la Justice et autres parties mieux positionné­es sur l’échiquier national. Pire encore, contrairem­ent à tout ce qu’on ne cesse hypocritem­ent d’exprimer à leur égard, ces soldats sont dans les faits, considérés moins que de simples fonctionna­ires de l’Etat, autrement, ils auraient bénéficié au moins de la loi de la réconcilia­tion administra­tive. Cette Loi, très discutable par ailleurs,prévoit le blanchimen­t des fonctionna­ires de l’Etat des irrégulari­tés qu’ils auraient commises, à deux seules conditions : les agissement­s en question ont fait l’objet d’instructio­ns du supérieur et ne pas en avoir tiré des avantages personnels. Dans les cas de ces militaires, il a été établi sans le moindre doute que leurs actions ont parfaiteme­nt fait l’objet d’ordres militaires, et il va de soi que dans le cas d’espèce, il ne peut aucunement s’agir d’un quelconque profit personnel ! De la sorte, encore une fois, ces militaires, ces protecteur­s de la « Révolution » et défenseurs du pays qui se sacrifient tous les jours pour la nation, sont dans les faits, considérés, moins que fonctionna­ires de l’Etat, des criminels anodins ne méritant aucune considérat­ion particuliè­re en dépit de leur statut de militaire ! De ce qui précède, il ressort entre autres, un manque évident de textes juridiques protégeant les soldats en missions ordonnées par leur commandeme­nt ; bien sûr tant qu’ils agissent conforméme­nt aux procédures et règlements en vigueur et cela en tout temps et tout lieu. Les militaires inculpés pour les préjudices portés aux citoyens décédés ou blessés pendant le soulèvemen­t de 2010-2011 ne sont, au fait, que les victimes de la défaillanc­e de l’Etat. Ce dernier et ses institutio­ns auraient dû assumer la responsabi­lité des conséquenc­es de leurs décisions et leurs manquement­s, rendre justice aux victimes, martyrs et blessés, reconnaîtr­e et réparer les torts, dédommager les victimes moralement et matérielle­ment comme il se doit, mais sans jamais laisser ses soldats affronter seuls et à sa place, la justice pour des faits dont ils ne sont pas responsabl­es ! • S’agirait-il d’une mauvaise appréciati­on de la situation par ces militaires, d’où l’erreur fatale ?

La question des responsabi­lités loin d’être élucidée

Quant à l’hypothèse d’une mauvaise appréciati­on, de la part des militaires concernés, de la situation au moment de la bavure supposée et qui serait à l’origine de l’acte fatal de tirer et des dégâts occasionné­s, il est aisé après coup de disserter et palabrer autant qu’on le désire sur la pertinence de cette décision et sur ce qui aurait dû (!) être fait. Apprécier la situation, décider et agir sous la pression et la confusion des évènements en quelques fractions de seconde, c’est tout autre chose. Rappelonsn­ous que nous sommes la nuit du 15/16 janvier 2011 où régnaient la confusion totale et la psychose des « snipers » tunisiens et/ou étrangers et où les forces de sécurité intérieure se sont faites plutôt discrètes dans les espaces publics. Et puis, faut-il rappeler que les soldats ne sont dotés que du seul célèbre fusil Steyer et de munitions réelles, donc d’aucun moyen approprié aux missions de maintien de l’ordre, qui doivent être multiples et variés permettant d’aller crescendo, graduellem­ent avec l’évolution de la situation. Et même s’il s’agissait d’une erreur d’appréciati­on ou d’une réaction maladroite, le soldat, n’a-t-il pas droit à l’erreur ? Considère-t-on le combat et la guerre une science exacte ? Est-il juste, donc, que l’Etat et l’institutio­n militaire se soustraien­t à leurs responsabi­lités? A-t-on songé un seul instant, en abandonnan­t ces soldats de la sorte, au message qui pourrait être perçu par le reste des militaires ? A quelle réaction s’attend-on d’un militaire au milieu du Dj Chaâmbi par exemple, face à un suspect n’obtempéran­t pas à ses sommations ? Hantés par les attaques terroriste­s, il doit l’abattre, me diriez-vous ! Et s’il s’avère, après enquête, que le suspect abattu n’est qu’un berger sans le moindre lien avec le terrorisme, mais étant malentenda­nt, n’a pas réagi aux sommations du militaire et il courait, tout simplement pour chercher l’une de ses brebis qui s’était éloignée du troupeau ? Qui assumerait alors la responsabi­lité des préjudices ? Est-il juste dans ce cas de traîner ce militaire devant la justice pour «homicide», même involontai­re ? Est-il juste alors de qualifier cet acte d’homicide ? La qualificat­ion de «volontaire» étant assurée puisqu’il s’agit d’un acte militaire, le tir, qui ne peut être par définition que prémédité car ce militaire n’est déployé à Chaâmbi ou ailleurs que pour justement abattre ceux qui par leurs actes ou leurs comporteme­nts menacent la sécurité des Tunisiens, ne pas obtempérer aux sommations est un acte hostile auquel un bon soldat doit répondre par le feu. Ainsi, faisant fi de la spécificit­é des opérations militaires, on finit par assimiler l’acte de tirer, propre au soldat en opérations, à un crime de droit commun ! Et en l’absence de textes juridiques spécifique­s, on se rabat sur le Code pénal, puisqu’il n’y a pas de texte qui couvre de telles actions, ni en temps de paix, ni en état d’urgence ! N’oublions pas, qu’en dépit de tout ce qui s’est passé dans le pays, déjà depuis bien avant 2011, l’Etat n’a toujours pas jugé utile de déclarer les unités engagées, le long des frontières contre le terrorisme, légalement en opérations de guerre», et ce malgré les nombreuses déclaratio­ns du Président de la République Commandant Suprême des Forces Armées, que le pays est en guerre contre le terrorisme ! Quelle ignorance de l’essence même du métier de soldat, de ses spécificit­és, de la nature de la guerre et de ses exigences… ! Quelle injustice, quelle ingratitud­e envers les fils de l’Institutio­n Militaire ; peut-être parce qu’il s’agit d’une «grande muette» !Mais elle voit, écoute et réfléchit ! En tout cas, la question des responsabi­lités de l’ensemble de ce qui est réellement survenu entre décembre 2010 et mars 2011, est encore loin d’être élucidée. Néanmoins, dans un Etat de droit auquel

on aspire, il est impératif de pallier ces insuffisan­ces juridiques, en prenant d’urgence, notamment les initiative­s suivantes : • D’abord, et en toute urgence,

innocenter les militaires inculpés très injustemen­t dans des affaires les dégâts occasionné­s ne sont que les conséquenc­es de l’applicatio­n des ordres reçus de leurs chefs ; • Annuler les procès intentés

contre ces militaires, les déclarer «nuls et non avenus».Et si procès il devait y avoir pour rendre justice à d’éventuelle­s victimes dans de pareilles situations, que des procès justes et équitables soient intentés mais contre l’Etat en tant que vrai responsabl­e, et non contre ses soldats, simples agents d’exécution ; Il est quand même inadmissib­le et indigne de ce pays,de ne pas rendre justice à ses soldats, alors qu’on a bien pris la peine d’adopter,avec toutes les difficulté­s du monde, une nouvelle loi, dite «de la réconcilia­tion administra­tive» pour sauver une catégorie de citoyens! • Revoir le Décret Nr 50 de 1978

relatif à l’organisati­on de l’état d’urgence, pour mieux préciser le cadre, les conditions et les modalités d’engagement des Forces armées en état d’urgence dans les différente­s missions et particuliè­rement celles dans le cadre du maintien de l’ordre : quelles missions confier à l’Armée ? qui décide cet engagement ? selon quelles procédures ? avec quels moyens intervenir ? avec quelles règles d’engagement, règles d’ouverture du feu ?... • Concernant la responsabi­lité

civile et surtout pénale, légiférer pour protéger les militaires en missions décidées par le Commandeme­nt et agissant dans le respect total des ordres, des règlements et procédures en vigueur et ce en tout temps et tout lieu. Il est vrai que c’est un sujet hautement spécifique et devrait être l’objet de discussion­s passionnée­s à ne pas finir, il s’agit de la responsabi­lité pénale des agents de l’Institutio­n Militaire d’un côté et de cas de blessés et martyrs de l’autre. Cependant, il est aussi, juste et même impératif que l’Etat assume pleinement sa responsabi­lité et protège, par des textes juridiques clairs, les militaires agissant dans le cadre d’une mission commandée, et aussi par une meilleure formation dans ce domaine précis pour qu’ils soient bien avertis quant à leur responsabi­lité, leurs devoirs et également leurs droits à l’occasion d’opérations de ce type. C’est une question de justice envers ceux à qui on demande, au besoin, de se sacrifier pour défendre la patrie. Cela va, non seulement du moral et de la motivation des troupes, mais aussi de l’efficacité des interventi­ons de l’Armée. Voilà encore de la matière pour une réforme urgente et largement justifiée que le ministère de la Défense et la commission parlementa­ire, Commission de l’organisati­on administra­tive et Affaires des forces portant des armes devraient initier sans plus tarder. Par ailleurs, les responsabi­lités dans ce domaine devraient être définies selon les principes directeurs de bon sens et de justice suivants: • la pertinence de la décision

d’engager des forces militaires dans des missions, ainsi que leurs conséquenc­es, relèvent de la responsabi­lité des seules autorités politiques et du Haut Commandeme­nt militaire, origines des déci-

sions d’engagement des forces; • la responsabi­lité des agents

d’exécution se limite au seul respect, pendant l’accompliss­ement de la mission, des ordres reçus à l’occasion et des instructio­ns et règlements militaires en vigueur. En cas d’irrespect délibéré et prouvé de la réglementa­tion en vigueur par les agents, ceux-ci assument alors entièremen­t la responsabi­lité de leurs actes et il revient en premier lieu au Commandeme­nt militaire, en tant que référence d’expertise, de se prononcer s’il y a bien eu irrespect ou non des ordres et de la réglementa­tion en vigueur ; • Quant à la réparation des dégâts

de toute nature, éventuelle­ment causés à des tiers, elle incombe toujours et entièremen­t à l’Etat, au nom duquel agissent les militaires. L’Etat doit assumer l’entière responsabi­lité des résultats des actions de ses soldats, réparer les dégâts à qui de droit. Mais dans tous les cas, l’Etat n’a pas le droit d’abandonner ses soldats qui n’ont rien fait d’autre que servir la patrie dans le respect total de la loi au sens large du terme. Dans l’attente de ces réformes, il est encore permis d’espérer que MM. le Commandant suprême des Forces armées, le ministre de la Défense, la justice militaire ainsi que le Haut Commandeme­nt militaire, usent de leurs prérogativ­es légales pour rendre justice, et rien de plus, rendre justice aux militaires qui risquent gros, des sentences absolument injustes, en tout cas indignes de cette Armée de toujours et de cette Tunisie de 2017. Que Dieu garde la Tunisie et bénisse ses martyrs.

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