Comment gérer sa propre cité ?
Du côté de la société civile, il y a de quoi s’inquiéter si l’ARP ne tranchera pas sur certains points litigieux contenus par le Code des collectivités locales (CCL), actuellement en cours d’examen en commission. Et pour cause. « L’action associative », « Atide » et «Kolna Tounès», entre autres, trois associations ont, déjà, demandé à ce que le projet de loi électorale en question soit, en partie, révisé, avant d’être adopté, et ce, pour que les choses soient bien claires avant que les municipales 2018 n’aient lieu, le 6 mai prochain. La conférence de presse qu’elles ont organisée, hier matin à Tunis, a mis sur le tapis un sujet d’actualité celui de la libre administration. Ce principe constitutionnel sera-t-il appliqué dans les prochains conseils municipaux élus ?, s’interrogent-elles ainsi. D’ailleurs, son application à ce niveau est l’un des principaux facteurs pour rétablir la confiance entre la commune et les citoyens. Dans son intervention, M. Ahmed Ben Nejma, de «L’Action associative » a mis en garde contre la manière avec laquelle l’autorité centrale dessine les contours du pouvoir local. Si aucun amendement n’est apporté à plusieurs articles contenus dans le CCL pour rectifier le tir, l’on risque de reproduire l’ancien modèle municipal, comme si de rien n’était. Et M. Ben Nejma de rappeler : «La libre administration tel que stipulé par la Constitution dans son article 132 est un principe qui illustre le sens de la démocratie participative ». De facto, il garantit ainsi la confiance entre la municipalité et le citoyen, celui-ci étant, désormais, un partenaire dans la prise de décision relative aux différents projets communaux, qualifiés aussi de proximité. Toutefois, sa légitimité semble, selon l’article 28 du Code des collectivités locales, loin d’être respectée. Elle est carrément menacée, juge-t-il. D’autant plus que ce même article, dont la version actuelle exige une certaine méthodologie participative réglementée par un décret gouvernemental sur proposition du gouverneur, ne permet pas, à vrai dire, aux municipalités d’opter pour des mécanismes participatifs de prédilection et qui soient adaptés à chaque région. « Donc, l’application, pour toutes les communes, d’un même mécanisme dicté par l’autorité centrale...», explique-t-il encore.
BP, PAI, un choix nuancé !
Dans ce contexte, le représentant de «L’Action associative » préfère, ici, adopter ce qu’il appelle « Budget participatif (BP)», en lieu et place du « Plan annuel d’investissement (PAI)», tel que décidé par la Caisse des prêts et de soutien aux collectivités locales, relevant du ministère de tutelle. « Ce dernier (PAI) s’avère un instrument de gestion communale techniquement défaillant », commente-t-il, un avis justifié par le simulacre d’implication du citoyen dans la prise de décision. Ce qui ne relève vraisemblablement pas du principe de la libre administration. Alors que le mécanisme (BP) qu’il défend énormément traduit, selon lui, dans les faits les choix et la volonté du citoyen, de l’idée des projets jusqu’à leur concrétisation. Soit un suivi du parcours d’exécution de tous les projets d’infrastructure, en l’occurrence éclairage public, aménagement des chaussées et trottoirs, travaux d’embellissement et autres. Afin de garder pareils avantages constitutionnels, ces associations comptent mettre la pression sur l’ARP pour réajuster les orientations de la loi. Pour sa part, Mme Leila Chraibi, présidente de l’Atide, a attiré l’attention sur le manque flagrant des ressources financières adéquates, ainsi que le faible taux d’encadrement, actuellement situé à 11% dans la plupart des municipalités. Ce qui, de son avis, pourrait entraver, de façon significative, l’application effective du principe de la libre administration. En fait, elle propose de favoriser la coopération et l’échange d’expériences et d’expertises intercommunales par la conclusion d’accords multilatéraux. Suggérant d’allouer une partie des taxes locales comme future gestion autonome de la cité, en vue de renforcer les revenus de la municipalité. Autant d’exemples à citer sur ce point, tels que les droits d’enregistrement d’un bien immobilier, frais de timbres, fonds de commerce, vignettes automobiles..
Le gouverneur aura-t-il un rôle ?
Outre le transfert juste des compétences d’une commune à l’autre, l’Atide suggère également l’introduction de la spécialité « gestion des collectivités locales » dans l’enseignement supérieur. De son avis, une telle filière est de nature à mieux renforcer les capacités d’encadrement au sein des institutions municipales. Pour M. Moez Attia, de l’association « Kolna Tounes », la libre administration n’affecte en aucun cas l’unité de l’Etat. Surtout que la commune n’aura prochainement ni un pouvoir législatif ni exécutif, préciset- il. « Mais, elle devrait agir en toute indépendance, libre à elle d’instituer des décrets réglementaires décidés de son propre chef», relève-t-il. Autant dire, le Code des collectivités locales, étant qualifiée de révolutionnaire, est considéré, à ses yeux, comme une seconde constitution, après celle de 2014. Il a affirmé que le contrôle devrait être a posteriori et non pas un préalable à l’action municipale. « La dissolution du conseil municipal par le gouverneur ne devrait se faire, en cas d’incapacité de gestion ou manquements aux responsabilités, que par une décision de justice rendue par le tribunal administratif », souligne-t-il. C’est que le pouvoir du gouverneur ne sera plus comme il était, sous Ben Ali ou Bourguiba. La région de demain devrait, alors, prendre son destin en main.