Entre scepticisme et espoir
Une stratégie dévoyée due à une vision escamotée des enjeux a conduit les nombreux responsables à mépriser le transport ferroviaire. Des lobbies avaient, alors, tout fait pour privilégier la route. C’est, malheureusement, ce qui continue de se tramer aujo
La grossière erreur de se défaire du rail avait commencé immédiatement après l’Indépendance. L’ensemble du réseau hérité de la colonisation constituait un lourd fardeau et sa gestion était fort coûteuse. Au lieu de chercher à trouver des solutions pour en tirer le meilleur profit, on avait opté pour les solutions de facilité qui consistaient à se débarrasser des lignes «encombrantes». Celles-ci étaient situées, comme par hasard, dans les régions de l’intérieur.
Le rail ou la route ?
A cela est venu s’ajouter un facteur naturel. Les inondations de 1969 ont, alors, apporté de l’eau au moulin des détracteurs de ce mode de transport. La plupart des lignes dans l’arrière-pays avaient subi des dégâts importants, ce qui a encouragé les décideurs à accélérer le processus d’abandon. Du coup, ce sont de très anciennes lignes qui ont été, ainsi, mises en veilleuse. Une véritable infrastructure était restée sans maintenance ni entretien. De grands ouvrages d’art et d’architecture ont été sacrifiés. On voit, jusqu’à ce jour, des gares jadis animées tomber en ruine ou être occupées par des inconnus ou servir à un autre usage. Pourtant, tous les ouvrages réalisés tout le long du parcours du train sont autant d’oeuvres d’art et d’architecture qui font, désormais, partie du patrimoine national et retracent l’histoire du rail en Tunisie depuis plus d’un siècle. Les zones longtemps desservies par le train ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Elles sont de plus en plus enclavées. Pis encore, même le mode de transport de remplacement (bus ou car) n’est pas suffisant pour répondre à une demande en constante augmentation. Au grand étonnement des Tunisiens, on constate, aujourd’hui, qu’il y a une réelle prise de conscience de l’impératif qu’il y a à réhabiliter les anciennes lignes et à réexplorer d’anciennes voies qui ont fait leurs preuves. Le projet du RFR, par exemple, ne peut être considéré que comme une pâle copie de ce qu’il fallait faire depuis, au moins, une décennie. Ne reprend-il pas, dans certains de ses tracés, des itinéraires de l’ancienne ligne du TGM qui constituait jusque dans les toutes premières années de l’Indépendance une courbe. Une courbe que l’on voudrait ressusciter actuellement. On avait jugé, à l’époque, que l’utilisation des bus était plus pratique parce qu’elle permettait une plus grande pénétration dans les nouvelles agglomérations qui se multipliaient à vue d’oeil. Qu’à cela ne tienne. Il existe, en tout cas, des projets concrets pour faire revivre des lignes, longtemps, abandonnées. A cet effet, près de 27 millions de dinars seraient consacrés, justement, à des projets allant dans ce sens. Ces fonds iraient à la maintenance, à la réhabilitation et au renouvellement du réseau ferroviaire. D’autres moyens seraient, également, consentis au renforcement des correspondances entre trains et gares routières (3MDT) et à l’équipement de 50 passages à niveau d’appareils de sécurité (5.5 MDT). Pour ce qui est des lignes qui seront réhabilitées, le ministre du Transport avait annoncé en novembre dernier, devant les députés de l’ARP, à l’occasion de la discussion en commission parlementaire du budget du ministère du Transport pour l’exercice 2018, qu’il était question de la mise à niveau de la ligne Tunis-Kasserine (315 km), du rétablissement de la ligne Kasserine-Kairouan-Sousse (195 km), et de la liaison GabèsMédenine (75 km). Autrement dit, il s’agit d’un total de près de 600 km environ. D’ailleurs, une réunion s’est tenue pas plus tard que ce 25 janvier 2018 au siège du ministère du Transport pour suivre l’avancement des projets à la Sncft. Elle a regroupé, en plus du ministre, le directeur général de la stratégie, des institutions et établissements publics et le PDG de la Sncft.
Réhabiliter le réseau ferroviaire
Rappelons, toutefois, qu’un document existe dans lequel plusieurs scénarii ont été proposés pour restaurer à l’identique (ou presque) le réseau ferroviaire tunisien. Ce dernier, faut-il le préciser, couvre 2.167 km, tandis que celui de la banlieue sud de Tunis couvre 23 km, dont 17 en triple voie entre Tunis et Hammam-Lif et 6 en double voie entre Hammam-Lif et Borj Cédria. Parmi les grandes options, les spécialistes envisagent de rétablir certaines lignes abandonnées comme la ligne Kalaa Sghira-Kasserine (coupée entre Hajeb El Ayoun et Sidi Saad depuis la mise en eau du barrage de Sidi Saad). L’option choisie consisterait à choisir une nouvelle bretelle de liaison de 126 km de long entre Menzel Mhiri et Sbeitla en passant par Sidi Bouzid pour contourner, par le sud, le relief montagneux. Le coût global de ce rétablissement est estimé à 306 millions de dinars (des estimations à réévaluer constamment en raison de l’augmentation des coûts des matériaux des équipements et de la main-d’oeuvre). Ce rétablissement peut concerner dans une première étape la section Kalaa SghiraKairouan. Les travaux comprennent la réhabilitation de la section de voie existante, Kalaa Sghira-Ain Khazzazia (40 km) et la reconstruction de la section Ain KhazzaziaKairouan (11 km) emportée par les crues de 1969. Comme les travaux de la liaison Kalaa Sghira-Kairouan ne présentent pas de difficultés particulières et qu’il n’y a pratiquement pas d’expropriation à faire, cette liaison peut être réalisée assez rapidement. Sa programmation à court terme est fortement envisageable. Par contre, la section Menzel Mhiri-Sbeitla nécessite des délais beaucoup plus longs, notamment en raison des problèmes d’expropriation et des coûts exorbitants qui nécessiteraient de vérifier la rentabilité économique des investissements à réaliser, même si le projet dessert Sidi Bouzid. Il est à signaler, par ailleurs, qu’une liaison ferroviaire entre Sidi Bouzid et la ligne Gafsa– Sfax au niveau de Meknassi, moyennant un nouveau tracé de 50 km de long environ, constituerait une solution pour l’acheminement des minerais de phosphate de Sra-Ouartène vers le port de Skhira. Elle permettrait, de plus, un gain de temps de parcours important sur les circulations ferroviaires entre les régions du Sud et du Centre, d’une part, et la région du Sud et de Tunis, d’autre part. Ce que les Tunisiens espèrent, cette fois, c’est que ces promesses ne s’évaporeront pas comme les précédentes. Car depuis 2011, tous les gouvernements ont fait des déclarations les unes plus irresponsables que les autres sans que les délais annoncés soient honorés. L’exemple le plus récent est celui de la date (des dates) du lancement de la première ligne du RFR. Annoncée pour 2015, elle est reportée à 2016 puis à octobre 2018 et, dernièrement, à avril 2019. Qui dit mieux! Alors que d’aucuns auraient même espéré un avancement pour la mi-2018 au maximum ! C’est pourquoi ces annonces de remise en service des lignes ferroviaires abandonnées depuis des décennies laissent sceptiques plus d’un, même si des budgets ont été alloués à cet effet. Ce qui renforce ces doutes, c’est qu’aucune date précise n’a été donnée pour le début des travaux ou de leur achèvement.