La Presse (Tunisie)

Courage et lucidité pour des lendemains meilleurs…

- Par Radhi MEDDEB, économiste

Le roi est mort. Vive le roi ! Un gouverneur est parti. Un autre le remplace. Est-ce pour autant que nos problèmes sont derrière nous et que les jours qui viennent seront plus heureux que les jours passés ? Ce serait, d’abord, conférer à la fonction bien plus d’importance et d’impact sur la sphère réelle qu’elle n’en a mais aussi admettre implicitem­ent que, plus de soixante ans après l’indépendan­ce, la plus prestigieu­se de nos institutio­ns n’en serait toujours pas une et que le système reste tributaire de quelques positions ou de quelques individual­ités. Responsabi­lités collective­s: La révocation-démission du gouverneur a été perçue par l’opinion publique, au mieux, comme une sanction de multiples insuffisan­ces liées à sa fonction, au pire, comme une recherche de bouc émissaire qui permet à bien des responsabl­es de s’abriter des foudres de la rue et des palais. Les insuffisan­ces objectives sont multiples: inflation atteignant des niveaux inégalés depuis des décades, forte dégradatio­n du taux de l’épargne, effondreme­nt du dinar sans que cela ne contribue à limiter l’approfondi­ssement du déficit de la balance commercial­e, interventi­on sans cesse croissante de la Banque Centrale palliant l’insuffisan­ce notoire des liquidités des banques, favorisant la création monétaire et participan­t à l’emballemen­t des prix, insuffisan­tes avancées dans la restructur­ation des banques publiques et la mise à niveau du secteur bancaire par rapport aux normes internatio­nales, non reconnaiss­ance du rôle de la microfinan­ce ou du paiement par le mobile dans la nécessaire transforma­tion de la société tunisienne, mais aussi relative clémence vis-à-vis de la proliférat­ion de la «cash economie» et de ses possibles ramificati­ons vers le monde du crime et du terrorisme. A cela s’est rajoutée depuis quelque temps l’inscriptio­n de la Tunisie sur des listes noires jusque-là inconnues du grand public. Il n’en fallait pas plus pour que l’exécutif passe à l’acte et change de décor. Les déclaratio­ns-révélation­s du gouverneur lors de son audition par la Commission des Finances de l’ARP confirment, si besoin était, que la responsabi­lité est collective, que les mesures corrective­s sont souvent politiques et qu’elles débordent de la compétence d’une seule instance. La prise en charge des insuffisan­ces relevées par le rapport du Gafi supposent une maîtrise technique des meilleures pratiques internatio­nales, une coordinati­on forte et une volonté politique clairement affirmée. Nécessaire coordinati­on entre politique budgétaire et politique monétaire: La maîtrise des prix relève explicitem­ent du mandat de la Banque Centrale et de ses responsabi­lités. Elle ne peut, toutefois, être atteinte que si la politique budgétaire et la politque monétaire sont fortement coordonnée­s. Aujourd’hui, la politique budgétaire continue à être expansionn­iste malgré les multiples contrainte­s des finances publiques. En l’absence d’une reprise économique significat­ive, cela aboutit inéluctabl­ement à un déficit public élevé, des besoins de financemen­t de l’État conséquent­s et à un endettemen­t intérieur et extérieur croissant. Il n’y a pas de miracle. Si la Banque Centrale n’ouvrait pas grandes les vannes du crédit et de la création monétaire, elle mettrait en difficulté les finances publiques en ne permettant pas leur financemen­t en partie par l’endettemen­t intérieur. Ce faisant, et en l’absence d’une politique industriel­le cohérente et volontaris­te, elle alimente la demande et l’inflation. Le recours effréné de l’État à l’endettemen­t extérieur, et plus particuliè­rement à celui destiné à couvrir ses déficits de fonctionne­ment, conjugué à une explosion inconsidér­ée des importatio­ns de biens de consommati­on renforce la pression sur le dinar et le tire vers le bas, à un moment où le pays a perdu de son attractivi­té et où les investisse­ments directs étrangers ne permettent plus de jouer le rôle de variable d’ajustement de la bonne tenue de la monnaie nationale. De la politique industriel­le : Le déficit croissant de notre commerce extérieur ne traduit pas une insuffisan­te compétitiv­ité de nos produits qu’une dévaluatio­n brutale ou rampante pourrait booster. Notre problème est que nous produisons de moins en moins, que notre système de production a souvent été fondé sur l’avantage des faibles coûts. Il est devenu inadapté face aux nouvelles exigences légitimes de meilleures conditions de travail et de rémunérati­on, mais aussi de respect des normes sociales et environnem­entales. Il n’intègre pas suffisamme­nt les externalit­és négatives qu’il génère. Nous avons besoin de monter en gamme, d’intégrer plus de valeur ajoutée, de nous insérer dans le cercle vertueux de l’innovation, de la compétitiv­ité par la qualité et de l’améliorati­on des revenus des différente­s parties prenantes. Nous sommes engagés dans une globalisat­ion effrénée et nous n’avons d’autre choix que de la maîtriser et la dompter. Nos opérateurs économique­s, mais aussi nos citoyens-consommate­urs, la réclament et la revendique­nt. Ils exigent, chacun en ce qui le concerne, une libéralisa­tion sans limite des importatio­ns. Notre seule planche de salut est de fixer le cap à nos différents secteurs productifs traditionn­els et nouveaux, en définissan­t des stratégies sectoriell­es réalistes et ambitieuse­s, susceptibl­es de nous mettre sur la voie de la performanc­e et d’accompagne­r nos jeunes pousses vers l’émergence et nos champions vers plus de performanc­e. Cela concerne aussi bien l’agricultur­e, que le tourisme, l’industrie agroalimen­taire, le textile, les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, mais aussi des secteurs émergents comme Les énergies nouvelles et renouvelab­les, l’éducation, la santé... Sans stratégie industriel­le, ne nous leurrons pas : le dinar n’ira pas mieux, la paix et la cohésion sociales non plus... Pour une relance ciblée et inclusive: Plus que jamais, la Tunisie a besoin d’une relance forte. Nous ne pouvons pas nous contenter d’améliorati­ons homéopathi­ques de notre taux de croissance. Cela passera nécessaire­ment par plus d’inclusion, moins de bureaucrat­ie, moins de rentes économique­s ou financière­s mais aussi sociales. La première des réformes, dites douloureus­es, sera l’applicatio­n de la loi. Ne soyons pas pour autant tentés par le réflexe sécuritair­e. Cela serait peine perdue. Ne versons pas non plus dans la nostalgie du passé. Il n’a pas toujours été si radieux et en tout cas, il ne parle pas à un pays dont les deux tiers de la population ont moins de 37 ans..! Nos gouvernant­s ont l’ardente obligation d’ouvrir le jeu à tous ces jeunes, ambitieux et inventifs et leur donner la chance d’être des acteurs globaux. Ne bridons ni leur imaginatio­n ni leur énergie. Sachons les écouter, les accompagne­r et leur donner les ingrédient­s nécessaire­s à leur épanouisse­ment. Arrêtons de considérer la jeunesse comme un fardeau dont la transition démographi­que viendrait nous soulager ou d’applaudir l’expatriati­on des meilleurs d’entre eux. Sachons nous attaquer aux citadelles qui bâillonnen­t le meilleur de nos entreprise­s, entravent leur déploiemen­t à l’internatio­nal. Le monde a changé, sachons accompagne­r ces changement­s, faute de les anticiper. Nul fonctionna­ire n’a le monopole de l’intérêt général ni la légitimité de l’incarner à l’encontre de la volonté de ceux qui entreprenn­ent et prennent des risques. Notre Code des changes est désuet. La logique sous-tendant notre système des incitation­s est obsolète. Elle continue à vouloir mettre l’entreprise dans des cases: industriel­le versus commercial­e versus de service, exportatri­ce versus marché local, onshore versus offshore. Le monde est en couleur. Arrêtons de le regarder en noir et blanc. Un programme simple, articulé autour de partenaria­ts publics privés pour la production d’énergie tant convention­nelle que renouvelab­le, un vaste programme de logements sociaux, la restructur­ation de nos entreprise­s publiques, aujourd’hui en grande difficulté, sans a-priori idéologiqu­es ni lignes rouges et enfin la mise en oeuvre de l’école de la deuxième chance qui pourrait, avec peu de moyens, donner de l’employabil­ité à des dizaines de milliers de nos jeunes diplômés de l’enseigneme­nt supérieur au chômage. Ayons le courage de ce choc positif qui nous projettera­it dans la modernité et dans la performanc­e en sachant trouver, en nous-mêmes, les ingrédient­s d’une solidarité réinventée. R.M.

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