Une mise au point s’impose
«Qui
a raison ? Qui a tort ?», se demande tout un chacun après avoir entendu les arguments des uns et des autres. En fait, l’affaire de la démission de Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale jusqu’à avant-hier, a changé. Il ne s’agit plus tellement de savoir qui porte l’essentiel de la responsabilité dans le fait que la Tunisie figure sur la liste des pays exposés au risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme... Il s’agit beaucoup plus de comprendre comment la communication à l’intérieur même de l’Etat peut être à ce point frappée de surdité que, lorsque l’un clame qu’il n’a pas cessé de tirer la sonnette d’alarme en direction du gouvernement, celui-ci réponde par la voix de son porte-parole qu’il n’en est rien et que le seul message reçu est que la Tunisie s’attirait des satisfecit pour ses progrès accomplis et sa bonne volonté...
Bien sûr, personne n’est disposé à porter seul tout le poids de la faute. Ce qu’on peut d’ailleurs comprendre. On regrettera à ce propos que, piqué dans son honneur — du moins est-ce ce qu’il dit ? — l’ancien gouverneur ait pris les devants de la démission, privant ainsi les Tunisiens d’une explication en bonne et due forme devant les députés. Pareille explication aurait sans doute livré des détails qui auraient permis de mieux comprendre comment s’opère le partage des tâches dans toute catastrophe annoncée. Occasion ratée !
On ne s’étonne donc pas que, dans la crainte d’endosser l’habit du bouc émissaire, on finisse par tomber dans une certaine forme de déni. Car il est clair qu’aussi bien l’ancien gouverneur de la BCT que le gouvernement Youssef Chahed sont largement responsables, l’un et l’autre, de la situation. Et que, par conséquent, les arguments produits par eux pour se dédouaner — quelle que soit leur validité dans le détail — relèvent globalement du déni de responsabilité.
On ne sait pas de quelle façon le partage des responsabilités a eu lieu, selon quelle répartition de la faute, selon quel équilibre ou déséquilibre dans la construction de la défaillance, mais on sait de façon sûre que ce partage existe. Et ce qu’on sait également, d’une façon qui ne fait pas non plus l’objet d’un doute, c’est que la qualité de l’échange a été très médiocre entre des acteurs de l’Etat censés agir en bonne intelligence. Voilà ce qui est désormais le point le plus important à souligner, et que nos concitoyens découvrent avec un mélange de perplexité et de stupeur.
Nous ne voulons pas dire par là que l’administration tunisienne nous a habitués dans le passé à un haut niveau de cohésion et de coordination. Mais nous croyions que cette faiblesse était réservée à des domaines autour desquels il n’y avait pas d’enjeu particulier. Ce que nous découvrons donc, c’est plus précisément que la démobilisation et la démission peuvent gagner des dossiers sensibles. Et que la compartimentation des structures administratives est telle qu’elle se traduit par une sorte d’éclipse de l’Etat face à ses interlocuteurs étrangers.
Les gestes d’apaisement qu’ont eus l’un pour l’autre les deux protagonistes du dossier mercredi dernier, lors de la remise de la démission au Palais de la Kasbah, ne devraient pas nous fâcher. Il n’y a rien de bon à attendre des querelles et des animosités. Mais on aimerait qu’au-delà de ces claques fort amicales dans le dos, on prenne la mesure de la gravité des choses : car non seulement les mesures pour sortir de la liste en question n’ont toujours pas été prises, et doivent l’être, mais l’état de confusion qui caractérise les différents organes de l’Etat dans leurs relations les uns avec les autres appelle une mise au point très sérieuse.