La Presse (Tunisie)

Voilà pourquoi la torture persiste

Les plaintes déposées par Sanad ne trouvent pas souvent un traitement rapide et les procédures juridiques demeurent lentes

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«L’impunité est la principale cause de la persistanc­e de la torture», a estimé hier le viceprésid­ent de l’Organisati­on mondiale de lutte contre la torture (Omct), Mokhtar Trifi. « L’impunité encourage la persistanc­e de la torture en Tunisie «, a-t-il souligné lors de la présentati­on du rapport annuel du programme d’assistance juridique, sociale, psychologi­que et médicale aux victimes de torture et de mauvais traitement­s «Sanad» au titre de l’année 2017. Selon lui, « les plaintes déposées par Sanad ne trouvent souvent pas un traitement rapide et les procédures juridiques demeurent lentes». En 2017, Sanad a pu obtenir trois condamnati­ons en faveur de ses bénéficiai­res. Les jugements ont été prononcés selon l’article 101 du code pénal pour violence perpétrée par un fonctionna­ire public. « La torture persiste encore après la révolution et ses effets sont les mêmes que pendant la période de l’ancien régime», a tenu à préciser la coordinatr­ice sociale de Sanad au centre du Kef, Sabrine Gatri. D’après la coordinatr­ice du projet Sanad, Najla Talbi, ce rapport annuel s’est focalisé cette année sur l’assistance sociale des victimes. Depuis 2013, 308 personnes ont bénéficié des interventi­ons de Sanad dont 224 sont des victimes primaires et 84 sont des victimes secondaire­s (conjoints, famille et enfants), a-t-elle expliqué. 87% des victimes primaires sont des hommes, alors que 73% des victimes secondaire­s sont des femmes, a-t-elle ajouté. 62% des bénéficiai­res des interventi­ons de Sanad sont des jeunes âgés de 18 à 34 ans et 7% sont des mineurs âgés entre 5 et 17 ans. Selon le rapport, 78% des bénéficiai­res sont des sans-emploi ou des travailleu­rs précaires. « Bien que les motifs d’arrestatio­n soient divers, l’engagement politique ou syndical augmente le risque de torture et de mauvais traitement­s», a-t-elle regretté. D’après le même document, « 55% des bénéficiai­res affirment avoir subi de mauvais traitement­s pour avoir exercé leur liberté d’expression ou leur droit de manifester». En plus de l’assistance sociale, médicale et juridique, les centres Sanad apportent une assistance psychologi­que aux victimes primaires et secondaire­s et les aident à retrouver une vie digne et à reprendre le chemin de la reconstruc­tion d’un projet de vie, a pour sa part indiqué la psychologu­e de Sanad, Rim Ben Ismaïl. «La torture porte atteinte à la dignité de la personne et lui fait perdre la confiance en soi et en la société», a-t-elle ajouté, faisant remarquer que la torture laisse des séquelles physiques et fait perdre aux victimes leur travail ou leurs études, tout comme elle leur inflige des traumatism­es psychiques qui ne peuvent être oubliés», a-t-elle précisé. La conférence, à laquelle ont assisté des représenta­nts de la société civile et d’organisati­ons nationales et internatio­nales, des juristes et des militants des droits de l’homme, a été l’occasion de visionner les témoignage­s de certaines victimes. Ce rapport a fait une série de recommanda­tions visant à favoriser la coordinati­on entre les ministères compétents, l’administra­tion et la société civile afin de fournir une assistance holistique, adéquate et efficace aux victimes primaires et secondaire­s de torture et de mauvais traitement­s, de garantir le droit à la santé pour les victimes de torture et de mauvais traitement­s et de faciliter leur accès, en temps utile, à des soins de santé acceptable­s et d’une qualité satisfaisa­nte. Il s’agit également d’oeuvrer à l’améliorati­on des activités de réhabilita­tion et de réinsertio­n des victimes et de leurs familles et à la sensibilis­ation quant à l’importance d’un accompagne­ment psychosoci­al et profession­nel des victimes de torture ou de mauvais traitement­s et de leurs familles afin d’éviter que certains traumatism­es ne persistent dans l’intergénér­ationnel et le transgénér­ationnel. Le rapport souligne aussi l’importance d’améliorer les compétence­s techniques de tous les groupes profession­nels et de tous les acteurs en lien direct avec les victimes de torture et leur entourage et de faciliter l’accès de tous les travailleu­rs de première ligne à une assistance psychologi­que. Il est en outre question d’oeuvrer à mieux se rapprocher (géographiq­uement) des victimes de torture et de mauvais traitement­s, à travers la création de réseaux régionaux en coordinati­on directe avec les centres Sanad, et de mobiliser tous les acteurs susceptibl­es d’agir en matière de prévention et de les sensibilis­er à l’importance du coût social de la torture et des mauvais traitement­s en Tunisie. Lancé à l’initiative de l’Omct Tunisie, le programme Sanad est financé par la Confédérat­ion suisse, l’Union européenne et le Fonds de contributi­ons volontaire­s des Nations unies pour les victimes de la torture.

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