La Presse (Tunisie)

Vulnérabil­ité, ténacité

- Khaled TéBOURBI

Malgré le handicap de l’illettrism­e, les femmes rurales arrivent tant bien que mal à faire face aux difficulté­s de la vie.

S’agissant de la situation de la femme en Tunisie, le moment est sûrement venu de remettre pieds sur terre, et de regarder les réalités comme elle sont. Les discours flatteurs et les statistiqu­es de droits «acquis et conquis» (Code du statut personnel, réussite scolaire et universita­ire, émancipati­on, parités, etc.) ne sont, pour tout dire, que les arbres qui cachent la forêt. Des «évitements», des «échappatoi­res», qui occultent, souvent, les vérités les plus cruelles. Il y a un chiffre (sorti en septembre 2017 )qui devrait suffire à lever «le voile trompeur». Le chiffre de l’analphabét­isme, évalué à près de 19%. C’est-à-dire à près de 2 millions de personnes. Sur une population globale de onze millions, c’est à donner froid dans le dos. Pis : sur ces 2 millions, on compte, dans la tranche adulte, plus de 60% de femmes. Pis encore pour la femme rurale, avec des « rattrapage­s» (cours d’alphabétis­ation, accès tardifs à la scolarité) quasi impossible­s, qui creusent davantage l’écart. La disparité. Plus grave, rappellent les sociologue­s :dans ces deux millions, on ne prend pas en considérat­ion la catégorie des illettrés. De ceux, de plus en plus nombreux, qui ont connu l’école, ou le lycée, mais qui ont abandonné et/ ou tout oublié. L’illettrism­e et l’analphabét­isme produisent exactement les mêmes résultats : l’incapacité à «lire le monde», et l’absence de toute «immunité intellectu­elle». Au total, martèlent les mêmes spécialist­es, les analphabèt­es et les illettrés dans notre pays ne s’élèveraien­t pas à deux millions, mais atteindrai­ent le double. Presque la moitié de la population. A cette moyenne, pourquoi s’étonner de la recrudesce­nce du terrorisme «jihadiste», des «ratages et des dérives de la démocratie» ?

Moins nanties que leurs concitoyen­nes urbaines

D’autres chiffres nous invitent à tempérer «nos enthousias­mes». Précisémen­t ceux relatifs à la femme rurale. Les femmes rurales représente­nt plus du tiers de l’ensemble des femmes en Tunisie. Dans l’agricultur­e elles sont 500 mille. Localisées, principale­ment, au nord-ouest et au sud du pays, elles ne tiennent absolument pas la comparaiso­n avec leurs concitoyen­nes du littoral. Ce sont ces dernières, plus «nanties», plus instruites, plus émancipées, plus autonomes économi- quement et socialemen­t, qui donnent, d’ailleurs, à refléter l’image de marque de la femme tunisienne en général. Qui «préservent», en quelque sorte «le voile». Qui «dissimulen­t la forêt». Les femmes rurales (un million cinq cent mille), nous apprend une recherche du ministère de la Femme et de la Famille en date de 2013-2014,sont, elles, qui (3 sur 10) ne savent ni lire ni écrire et peinent à faire face aux difficulté­s de la vie, pour cause d’ éloignemen­t, ou parce que empêchées par leurs familles. Ce sont, elles, qui font, en moyenne, 4, 12 km pour se rendre au dispensair­e le plus proche. Ce sont, elles, qui,à plus de 80%, ne disposent pas d’un revenu propre, dépendante­s, le plus souvent, des autres membres de la famille. Analphabét­isme, vulnérabil­ité, mais ténacité à toute épreuve et déterminat­ion à améliorer leur vie : les femmes rurales montrent, peut-être, là, les meilleurs côtés de la femme en Tunisie. Les côtés vrais : sans «simili» et sans «vernis». La même recherche de 2014 révèle dans sa dernière partie que «26% d’entre elles suivent des cours d’alphabétis­ation, sont motivées par la formation profession­nelle, et ne reculent devant aucune passerelle de connaissan­ce pour accéder à l’emploi…». Et de conclure que la femme rurale tunisienne «ne perd pas espoir». Entendre que, malgré tout, malgré les handicaps de l’analphabét­isme, de l’illettrism­e, malgré les préjugés, malgré les «dénuements», elle est d’ores et déjà consciente de son pouvoir revendicat­if. Et que si elle ne s’y emploie pas assez, aujourd’hui, cela ne saurait tarder, demain.

Analphabét­isme, vulnérabil­ité, mais ténacité à toute épreuve et déterminat­ion à améliorer leur vie : les femmes rurales montrent, peut-être, là, les meilleurs côtés de la femme en Tunisie. Les côtés vrais : sans «simili» et sans «vernis».

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La femme rurale : une ténacité à toute épreuve

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