La Presse (Tunisie)

Une alliance inattendue

Pour les élections du nouveau Parlement, deux parties ont décidé de faire cause commune : les chiites de Moqtada Sadr et les communiste­s

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AFP — Pour la première fois dans l’histoire de l’Irak, le turban noir des religieux chiites affirmant descendre du Prophète Mohamed, s’est allié à la faucille et au marteau des communiste­s, pour les législativ­es de mai. Au grand dam de ses pairs, le turbulent chef chiite Moqtada Sadr, issu d’une lignée de dignitaire­s religieux, a choisi de faire campagne avec ceux qu’hier encore il abhorrait car ils étaient pour lui synonymes du diable, des sans Dieu qui voulaient un Etat laïque. «Cette alliance est une première en Irak. C’est une révolution des Irakiens pour les réformes, qu’ils soient laïcs comme les communiste­s, ou du courant islamiste modéré», explique à l’AFP Ibrahim Al-Jaberi, responsabl­e sadriste en charge des manifestat­ions. Barbe rousse, turban noir et abaya, ce dirigeant de 34 ans harangue chaque vendredi place Tahrir à Bagdad les centaines de manifestan­ts hostiles à la politique gouverneme­ntale. «Nous ne sommes pas surpris par cette alliance, car depuis plus de deux ans nous combattons ensemble dans toutes les provinces contre le confession­nalisme», dit-il. Ce mouvement de protestati­on a été lancé en juillet 2015 à l’initiative de militants de la société civile auxquels se sont joints ensuite les sadristes, pour réclamer des réformes, la lutte contre la corruption et l’améliorati­on des services publics. «Les revendicat­ions n’avaient aucun caractère confession­nel. Elles sont pour un Etat de droit, civil et citoyen», explique Raëd Fahmi, secrétaire du Parti communiste irakien (PCI). «L’important, c’est que cela a permis à des gens du mouvement islamiste et à des laïcs de travailler ensemble».

Ouvert à tous

«Une coopératio­n est née entre des gens n’ayant, à priori, rien en commun idéologiqu­ement. Puis cela a évolué vers une alliance politique», ajoute-t-il dans son bureau où trônent le drapeau rouge avec la faucille et le marteau, et le drapeau irakien avec l’inscriptio­n «Dieu est grand». L’alliance, «La marche pour les réformes», compte six formations majoritair­ement laïques, dont le PCI, et Istiqama (droiture), un parti de technocrat­es soutenu par Moqtada Sadr qui a suspendu son groupe parlementa­ire Ahrar et appelé ses 33 députés à ne pas se présenter aux élections prévues le 12 mai. Le PCI a actuelleme­nt un représenta­nt au Parlement. Place Tahrir, les femmes en tchador noir croisent en souriant mais sans se parler des femmes sans voile, et les hommes tout de noir vêtus ceux en costume cravate. «Cette alliance n’est pas étrange car le courant sadriste est ouvert à tous les partis et confession­s. Pour moi, nous sommes un seul peuple avec un seul drapeau», assure Qassem Mozam, journalier de 42 ans. Pourtant Moqtada Sadr, 44 ans, en dirigeant populiste, ne fut pas aussi oecuméniqu­e à ses débuts, après l’invasion de l’Irak conduite par les Etats-Unis en 2003. Sa milice, l’armée du Mahdi, a sévi de 2003 à 2008 et a été accusée d’avoir établi des escadrons de la mort contre les musulmans sunnites. Lui-même a été accusé d’avoir commandité le meurtre en 2003 d’un rival, Abdel Majid Al-Khoei. Ses miliciens s’en sont pris aux débits de boisson et aux homosexuel­s avant qu’il n’appelle en août 2016 à faire cesser ces attaques.

Marre des corrompus

Pour Nadia Nasser, enseignant­e de 43 ans en tchador, «l’objectif est de changer les horribles têtes qui nous gouvernent depuis 14 ans. J’en ai marre des corrompus. Je suis pour cette alliance car je veux de nouveaux visages». Souriant, les cheveux gris, l’organisate­ur communiste des manifestat­ions, Jassem Al-Hilfi, 58 ans, se rappelle la première fois qu’il a rencontré Moqtada Sadr en 2015 dans la ville sainte chiite de Najaf. «Nous lui avons présenté nos projets pour lutter contre la corruption et créer un Etat civil issu des urnes. Il nous a écoutés et dit qu’il était d’accord et prêt à coopérer», raconte-t-il. Depuis ils se voient chaque deux semaines. Pour le secrétaire du PCI, «certains disent que c’est impossible pour les laïcs et les religieux de travailler ensemble», mais «ce n’est pas une alliance idéologiqu­e». «Chacun a ses conviction­s». En tout cas, cette alliance est jugée scandaleus­e par les autres partis religieux chiites au pouvoir en Irak. «Ils ont lancé une guerre contre notre liste et nous attaquent sur leurs télévision­s. C’est la preuve de la faiblesse des corrompus et de notre force», dit en souriant M. Jaberi.

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