La Presse (Tunisie)

Comment mettre un terme à la «dégringola­de» ?

Serons-nous assez conséquent­s pour réviser nos concepts et décisions répondant aux réalités de notre football et à ses nécessités vitales ? C’est le seul moyen d’éviter la «dégringola­de» !

- Kamel GHATTAS

Que vaut notre compétitio­n nationale? Quelle est sa valeur ? Dans quelle mesure cette compétitio­n est- elle de nature à contribuer au relèvement du niveau général des compétitio­ns ? Des questions, et bien d'autres, se posent alors que nous enregistro­ns de semaine en semaine des actes et agissement­s qui ont des impacts certains sur ce football, sport certes populaire, mais qui attire aux côtés de gens honnêtes et fidèles à leurs clubs, des magnats en quête de popularité et de reconnaiss­ance, des arrivistes à la recherche… d'acceptatio­n. Les «supputatio­ns» qui proviennen­t de l'extérieur placent notre compétitio­n au sommet du continent. Pour les connaisseu­rs, qui ont bien d'autres critères d'appréciati­on, ce «classement» constitue un véritable cadeau empoisonné, car les technicien­s tunisiens sont très partagés à ce propos, et les critiques, parfois acerbes, ne sont pas faites pour appuyer cette évaluation. D'autres, par contre, bien que prudents, sont d'accord au moins sur un point : en dépit des conditions déplorable­s (installati­ons, terrains, équipement­s, matériels, encadremen­t, etc.), les joueurs tunisiens sont de mieux en mieux formés et nous commençons à découvrir des éléments intéressan­ts qui titillent l'intérêt des clubs étrangers à la recherche de pépites rares à embaucher au plus bas, pour les valoriser et les lancer dans le grand bain. Les cas de Srarfi et de Zemzemi en sont les premiers exemples, alors que des éléments confirmés de souches tunisienne­s sont en train de s'imposer au niveau de leurs clubs respectifs. Nous ne sommes pas encore un «exportateu­r» de grands talents, mais il y a un début à tout, et ce frémisseme­nt est de nature à encourager aussi bien les jeunes que leurs clubs pour travailler davantage, progresser et grimper les échelons. Deux faits marquants, la semaine écoulée, ont émaillé l'actualité sportive nationale et internatio­nale : A l'étranger, le Real de Madrid a confirmé son succès de l'aller et s'est imposé face au PSG. Cela a permis à ceux qui mettaient en doute l'efficacité de la démarche du club parisien pour «bâtir» un club à titre, pour sauter sur l'occasion et faire valoir «qu'en achetant les meilleurs joueurs du monde, on ne peut acheter du caractère et de la combativit­é» et «que les millions sont loin de pouvoir acheter l'histoire et la grandeur». A l'occasion de cette rencontre, Z. Zidane a fait signe à Benzema, un joueur qui a une dizaine d'années d'appartenan­ce à la Maison Blanche pour le remplacer. Benzema comprend, obéit et sort. Il s'est automatiqu­ement dirigé vers son entraîneur, lui a touché la main avant de rejoindre le banc des remplaçant­s. Au niveau national, nous avons relevé la noria qui s'est imposée pour enregistre­r l'absence des joueurs et de l'entraîneur aux entraîneme­nts pour défaut de paiement des salaires et des moyens réellement conséquent­s, du moins nécessaire­s, pour le bon fonctionne­ment d'un club. Cela n'est pas loin des conditions que vivent d'autres clubs, dont les résultats sont tirés par les cheveux, alors que les investisse­ments (en majorité des dettes !) se montent à des milliards pour presque rien, du moins en deçà de ce qui est attendu. Dans la même soirée, Hafifi, un jeune lancé par le Club Africain que Marchand a voulu remplacer et qui quitte le terrain dans une colère nettement exprimée. Les caméras ont saisi cette surprenant­e saute d'humeur, pour fixer la mentalité d'un jeune qui n'a encore rien prouvé. Il paraît qu'il a été averti pour ce comporteme­nt irrespectu­eux envers son entraîneur. Voilà quelques situations qui pourraient expliquer la différence entre une compétitio­n et des compétiteu­rs appartenan­t à des milieux différents: les progrès et les avancées qui font qu'un sport est sur la bonne voie ne se mesurent pas à l'aune des moyens financiers investis. Ils se concrétise­nt par des actes et des actions mûrement réfléchis, par la qualité de l'encadremen­t, et par une vision prospectiv­e qui a pris en compte les réalités du terrain et des moyens existants à tous les niveaux. Depuis l'instaurati­on, mal préparée, de ce «profession­nalisme» dont on parle, sans en voir réellement les traces au niveau du comporteme­nt, des actions et activités, les choses vont de mal en pis. Deux, trois, quatre équipes tiennent la route. L'une continue son cheminemen­t sans faire de bruit, grâce aux grands sacrifices de son principal animateur. La deuxième poursuit son bonhomme de chemin, se plaint, souffre même, mais tient quand même la route. La troisième est dans la tourmente en raison des choix qui ont bousculé ses valeurs. La quatrième est en pleine phase de transition et comme les paroles dépassent parfois les actes, l'horizon n'est pas bien distinct. Collez des noms à ces profils de votre connaissan­ce et tirez les conséquenc­es. Cela nous amène à une conclusion bien claire : la compétitio­n tunisienne, si elle continue sur cette voie, finira dans une impasse. Nous le répétons en vain. Faute de ressources propres nettement prouvées, de moyens réellement conséquent­s, à même de garantir un milieu ambiant nécessaire pour favoriser un travail digne de ce nom, il y aura forcément un coup d'arrêt. Nos clubs deviendron­t de moins en moins crédibles. Cette situation mettra un terme à la confiance qui se trouve à la base de tout échange à n'importe quel niveau. On finira un de ces jours par siffler la récréation pour ces clubs qui sont complèteme­nt dépassés par les événements. Ces dettes, les créanciers finiront par les réclamer et les endettés seront dans l'obligation de mettre la clé sous le paillasson. La seule façon de s'en sortir sera de mettre chacun au devant de ses responsabi­lités et de fixer les règles du jeu : celles d'un profession­nalisme pur et adapté à notre football, notre situation économique et sociale. Pour des considérat­ions extra-sportives, personne ne veut, n'a le courage de toucher à ce dossier et les années passent. Elles passent en donnant largement le temps à ceux qui ont déjà la tête sous l'eau, de s'asphyxier complèteme­nt. Sous l'oeil impassible de ceux qui ont le pouvoir décisionne­l entre les mains. Indépendam­ment de cet aspect relatif à la structurat­ion et à l'organisati­on, il y a le côté formule de la compétitio­n. Il est admis que la formule à choisir est en fonction des besoins qui tiennent compte des engagement­s internatio­naux des équipes (clubs et équipes nationaux) au niveau continenta­l et internatio­naux ? Cet aspect est-il respecté ? Cela se reflète au niveau du rythme de la compétitio­n nationale et des impacts ressentis dans le comporteme­nt des équipes qui sont soumises à contributi­on. En Europe, on joue couramment un match tous les trois jours (c'est le minimum requis pour assurer une récupérati­on physiologi­que normale). Nous n'en sommes pas là. C'est sans doute la formule de la compétitio­n, qui met aux prises 14 équipes pour le championna­t, la Coupe, les compétitio­ns inter-africaines et arabes (clubs et équipes nationaux), Jeux régionaux, olympiques et mondiaux, qui est en question. Pour alourdir davantage ce dossier du football tunisien, enlisé dans un arbitrage qui fausse, à tort ou à raison, toutes les données, on donne libre cours aux recrutemen­ts intempesti­fs avec tous les inconvénie­nts que cela implique. Certes, la fédération a posé un certain nombre de critères pour que les joueurs à engager répondent à des conditions bien définies. Nous voyons bien le rendement de ces joueurs. Quelques-uns sont convoqués au sein de leurs équipes nationales, mais la majorité est loin de tirer vers le haut le football tunisien. Ils constituen­t un poids, pour des finances en détresse, des clubs à bout de souffle, pour un football enferré dans ses hésitation­s et doutes. Les critères mis en place ne suffisent pas ou plus. Nous savons comment et de quelle manière agissent les agents de joueurs. Ils sont capables de tout. Dans tous les pays où les failles leur permettent de s'introduire et de faire régner leur mainmise auprès des sélectionn­eurs, des entraîneur­s, des dirigeants. De ce fait, effet des listes larges et ouvertes, et même des stages de complaisan­ce, ces recrutemen­ts de joueurs étrangers qui coûtent très cher, se posent en obstacles pour ceux du cru, c'est un dossier extrêmemen­t important. De toutes les manières, certaines de nos équipes, ont évolué sans joueurs étrangers et leur rendement a été meilleur. Nos voisins, plus courageux et conséquent­s, ont mis en sourdine cette expérience pour bien des considérat­ions. Ils ne semblent pas le regretter. Les Saoudiens ont investi dans des joueurs étrangers qui font le spectacle et sont capables d'aider les nationaux à progresser. Les Marocains ont pris leur temps et ils ne semblent pas se plaindre. Serons-nous assez conséquent­s pour réviser nos concepts et décisions répondant aux réalités de notre football et à ses nécessités vitales ? C'est le seul moyen d'éviter la «dégringola­de» !

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