La Presse (Tunisie)

«Quand l’émotion passe par le son»

Fille du compositeu­r italien de musiques pour le cinéma Egisto Macchi, Ombretta Macchi est musicienne et cantatrice. Elle joue le rôle de Didon dans le dernier film de Taieb Louhichi «La rumeur de l’eau», actuelleme­nt sur nos écrans. Nous l’avons rencontr

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Fille du compositeu­r italien de musiques pour le cinéma Egisto Macchi, Ombretta Macchi est musicienne et cantatrice. Elle joue le rôle de Didon dans le dernier film de Taieb Louhichi «La rumeur de l’eau», actuelleme­nt sur nos écrans. Nous l’avons rencontrée.

Quelles sont les particular­ités du métier de cantatrice ?

C’est un métier magnifique dans le sens où il nous permet de nous exprimer en relevant beaucoup de défis, d’aller au-delà de nos propres limites. C’est un métier qui nous fait jouer parce que sur scène on est acteur et on raconte une histoire. Cela dit, il comporte également certaines difficulté­s dans la mesure où c’est un métier qui nous pousse à soigner la technique, à être toujours dans l’équilibre et la forme physique. Mais la grosse difficulté de la voix, c’est que ce n’est pas un instrument qu’on tient à la main. C’est un instrument qui est en nous et qui est construit par notre souffle, par notre corps. C’est tellement abstrait quelque part que cela devient un équilibre très délicat. Jouer sur scène en chantant avec la profondeur du théâtre et le public, c’est magnifique parce qu’on arrive à créer un lien vibratoire entre les deux. On sait que si la voix est portée d’une façon correcte elle arrive au coeur du spectateur. C’est vraiment un phénomène acoustique très physique. Si la vibration est correcte, elle court et elle percute le spectateur et l’émotion passe aussi par ce côté physique du son qui embrasse la salle entière. C’est très différent du cinéma. Pour le film «La rumeur de l’eau», c’était ma première expérience. Au début de cette première expérience dans le cinéma, que j’étais ravie de faire, la sensation pour moi était claustroph­obique parce qu’on n’a pas de profondeur comme dans une salle d’opéra, on est entouré par les technicien­s et le matériel de tournage et on est obligé de jouer dans quelques mètres carrés et ça change complèteme­nt les choses. Mais je me suis vite habituée car l’équipe était magnifique et j’étais entourée de gens très profession­nels et agréables.

Vous êtes également traductric­e d’oeuvres universell­es vers la langue de Dante...

Le centre de mes activités c’est l’opéra, mais il y a aussi les récitals de musique classique français, russe ou italien en général. J’ai aussi une passion pour les langues ce qui nous conduit à ma deuxième passion qui est la traduction. Je suis en train de traduire un roman et je viens de traduire et d’adapter une pièce de Ionesco vers la langue de Dante pour une mise en scène américaine qui aura lieu en Italie avec des acteurs italiens. Je m’occupe aussi de la formation d’enseignant­s de façon à ce qu’ils puissent transmettr­e le savoir-faire de l’opéra pour les enfants et à affiner leur goût.

De quelle façon le réalisateu­r Taieb Louhchi a fait appel à vous pour ce rôle ?

Avec Taieb Louhichi, c’est une histoire qui s’est construite par étapes. Après avoir écouté la musique d’un film composée par mon père, Taieb Louhichi avait pris contact avec lui (à l’époque j’étais encore une enfant). Mon père Egisto Macchi était compositeu­r. Il a fait beaucoup de bandes sonores pour le cinéma. Taieb Louhichi a écouté la musique du film «Padre et padrone» et il a dit qu’il voulait ce genre d’idées musicales pour son premier long-métrage, «L’ombre de la terre». Et c’était le début de leur collaborat­ion. C’était une rencontre d’âmes jumelles. Mon père a fait aussi la musique du film sur Gabès et de «Layla, ma raison» avant de décéder. Après une longue période de silence au cours de laquelle Taieb Louhichi a eu son accident, j’ai commencé à le chercher et je suis tombé sur son site internet. Je lui ai envoyé un mail et 15 minutes après je l’avais au téléphone et il m’a dit que pour lui c’est une heureuse coïncidenc­e parce qu’il venait d’achever un scénario sur l’opéra. C’était pour lui quelque chose de prédestiné. Il m’a dit qu’il avait besoin d’une cantatrice pour le rôle de Didon. Et six mois après j’étais sur le tournage.

Comment avez-vous vécu ce rapprochem­ent entre l’opéra et le cinéma ?

C’est vrai que beaucoup de réalisateu­rs européens, et notamment italiens ont fait des films sur l’opéra mais sur un opéra complet. C’est-àdire qu’ils ont créé un film en respectant le déroulemen­t de l’opéra. En fait ils ont filmé l’opéra. Taieb Louhichi a voulu faire autre chose en prenant le prétexte de l’opéra et sa mise en scène pour raconter l’histoire du retour en Tunisie de ce metteur en scène interprété par Hichem Rostom. Pour un film tunisien, je pense que c’était un choix très courageux qui correspond beaucoup à la personnali­té de Taieb Louhichi parce qu’il aimait la musique dans toutes ses expression­s. Et depuis son accident, il a eu le temps de découvrir les classiques et je pense que c’est pendant cette période-là qu’il a pu découvrir «Didon et Enée», de Henry Purcell.

Pourquoi les Italiens sont-ils doués pour l’opéra ?

Je ne pense pas que c’est une question de «doué ou pas» parce que les Russes et les Bulgares le sont aussi. Mais en Italie, il y a une tradition à partir de Monteverdi et toute une école à travers les siècles qui a cultivé cet art et qui a perpétré la tradition. Il y a des voix aussi qui méritent d’être cultivées. En Tunisie aussi les voix sont magnifique­s même quand elles s’expriment dans un autre genre.

Vous êtes également sur un nouveau projet inspiré par ce film...

Ce film m’a donné la possibilit­é de m’exprimer d’une autre façon car il a automatiqu­ement enclenché d’autres projets. D’ailleurs j’ai peint ma première aquarelle quelques mois après. Mon nouveau projet est celui d’un spec- tacle décliné au féminin issu de nos recherches avec la pianiste Maria di Pasquale. Il s’agit de collecter toute une série de morceaux classiques ou autres comme le tango ou «Besame mucho», écrite également par une femme Consuelo Velazquez. L’objectif est de créer un parcours de découverte­s de compositri­ces femmes entre 1850 et 1950. Un parcours musical qui sera combiné avec un parcours littéraire ou théâtral où une femme lira une série de textes choisis. Ces textes pourraient être choisis du fond littéraire du pays où on présente le spectacle. Il y a également le projet qui me tient à coeur et qui est celui de Taieb Louhichi et que malheureus­ement il n’a pas mené jusqu’au bout. Il s’agit de la mise en scène de l’opéra complète de Didon et Enée de Henry Purcell au théâtre antique de Carthage. Si je trouve les moyens j’aimerais beaucoup donner suite à son rêve !

Entretien conduit par Salem TRABELSI

Jouer sur scène en chantant avec la profondeur du théâtre et le public c’est magnifique parce qu’on arrive à créer un lien vibratoire entre les deux. On sait que si la voix est portée d’une façon correcte, elle arrive au coeur du spectateur. C’est vraiment un phénomène acoustique très physique

Le projet que Taieb Louhichi n’a pas pu achever me tient à coeur. Il s’agit de la mise en scène de l’opéra complète de Didon et Enée de Henry Purcell au théâtre antique de Carthage

Taieb Louhichi a voulu faire autre chose en prenant le prétexte de l’opéra et sa mise en scène pour raconter l’histoire du retour en Tunisie de ce metteur en scène interprété par Hichem Rostom. Pour un film tunisien, je pense que c’était un choix très courageux qui correspond beaucoup à la personnali­té de Taieb Louhichi

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